Le 24 septembre 1914 vue par Apollinaire
MON désir est la région qui est devant moi
Derrière
les lignes boches
Mon désir est aussi derrière moi
Après la
zone des armées
Mon désir c'est la butte du Mesnil
Mon désir est là
sur quoi je tire
De mon désir qui est au-delà de la zone des
armées
Je n'en parle pas aujourd'hui mais j'y pense
Butte du Mesnil je t'imagine en vain
Des fils de fer
des mitrailleuses des ennemis trop sûrs d'eux
Trop enfoncés sous terre
déjà enterrés
Ca ta clac des coups qui meurent en
s'éloignant
En y veillant tard dans la nuit
Le Decauville qui
toussote
La tôle ondulée sous la pluie
Et sous la pluie ma
bourguignotte
Entends la terre véhémente
Vois les lueurs avant
d'entendre les coups
Et tel obus siffler de la démence
Ou le tac tac tac
monotone et bref plein de dégoût
Je désire
Te serrer dans ma main Main de
Massiges
Si décharnée sur la carte
Le boyau Gœthe où j'ai
tiré
J'ai tiré même sur le boyau Nietzsche
Décidément je ne
respecte aucune gloire
Nuit violente et violette et sombre et pleine
d'or par moments
Nuits des hommes seulement
Nuit du 24 septembre
Demain l'assaut
Nuit
violente ô nuit dont l'épouvantable cri profond devenait plus intense de minute
en minute
Nuit qui criait comme une femme qui accouche
Nuit
des hommes seulement
Guillaume Apollinaire, 38e Régiment d'artillerie