03 mars 09
Les actualités du 3 mars 1909
Révolution en Perse – Assassinat d'un Gouverneur
La nouvelle du soulèvement révolutionnaire qui a été marqué par l'occupation de Recht, tombée aux mains des insurgés, et par l'assassinat du gouverneur Serdar-Afkhan, commis il y a quatre jours, a éclaté comme un coup de foudre à Téhéran. Elle y a causé une émotion d'autant plus grande que nous sommes ici en "Carême" persan, c'est-à-dire dans le mois de Moharem, le premier de l'année persane.
Durant ces trente jours, les croyants doivent jeûner et faire pénitence, se priver de musique et de danse, et il est surtout défendu de faire la guerre. Mais il faut croire que les hérétiques sont en grand nombre, ou qu'il y a bien des accommodements avec le Koran, observé par les shites, puisque des coups de canon sont échangés chaque jour à Tabriz entre les révolutionnaires et les troupes du gouvernement, et qu'on s'est emparé de Recht en plein Moharem.
Chose digne d'attention ! Il semble que cette révolution n'ait pas déplu à tout le monde ici. Tout d'abord, il faut rappeler ce qu'est la ville de Recht : une grande cité commerciale du nord de la Perse, située à 35 verstes du port d'Enzeli et de la mer Caspienne, à 337 verstes de Téhéran et peuplée aujourd'hui de 100 000 habitants. C'est la ville la plus riche de la province du Ghilan. Elle met en communication Téhéran et toute la Perse avec la Russie et l'Europe au point de vue commercial, postal et télégraphique. La grande route d'Enzéli à Téhéran a été construite par les ingénieurs russes et constitue une concession russe dans le royaume d'Iran.
Depuis un an que Serdar-Afkhaïnn avait été nommé gouverneur de la ville, il s'y était signalé par toutes sortes d'exactions et de violences. La population l'avait pris en horreur. Tôt ou tard, des représailles étaient inévitables. Elles viennent d'avoir lieu. Serdar-Afkhan n'avait pas l'air de se douter des haines qu'il avait amassées au tour de lui. Il était, il y a quatre jours, en train de jouer tranquillement aux cartes chez son ami Cerdar -Khoumagon lorsqu'une troupe de Persans et de Caucasien armés fit irruption dans le jardin, aperçut le gouverneur et lança une bombe qui tua le gouverneur et trois fonctionnaires, sans atteindre aucun des autres habitants de la maison.
Les émeutiers, au nombre de 200, se répandirent alors dans la maison, en firent sortir les femmes, les enfants et les serviteurs, sans leur faire aucun mal, et mirent le feu a l'habitation, après un pillage en règle. Les édifices voisins, la poste, le télégraphe et le tribunal furent également la proie des flammes. Le personnel voulut se défendre, des coups de feu furent échanges, et il resta des deux côtés une quinzaine d'hommes sur le carreau, tant morts que blessés.
Les révolutionnaires, guidés, semble-t'il, par des transfuges du Caucase, pillèrent l'arsenal, enlevèrent deux canons et formèrent un Comité local, à la tête duquel ils mirent Moïsus-sultan. Puis ils avisèrent le consul russe que leur but était d'arriver à l'établissement de la Constitution persane tout en garantissant la vie et la pro riété des habitants qui n'entretiendraient point de relations avec le shah ou l'Etat persan: tout cela, disaient-ils, pour le plus grand bien de la Perse.
Le fait est qu'aucune maison particulière n'eut à souffrir du pillage et que
les habitants ne furent point molestés. La succursale de la banque russe
d'escompte et de dépôts fut aussi respectée.L'agression contre le gouverneur avait été si prompte que ni les cosaques de
la brigade (23 nommes en tout, y compris les Officiers, détachés à Recht), ni
les soldats du gouverneur n'eurent le temps de se rassembler pour courir à son
secours, ils mirent plus de diligence à se réfugier au consulat russe.
Ils s'y rencontrèrent avec le gouverneur de Talidj, Serdar Ahmjed qui, entouré de sa famille et de sa suite a jugé prudent de passer la saison hors de sa résidence. Ses administrés lui avaient déjà brûle sa luxueuse habitation de Talidj et quand Serdar-Afkhan, qui vient de mourir, était venu pour mettre les rebelles à la raison, ceux-ci l'avaient attaqué, battu et poursuivi, lui et ses soldats, leur enlevant à tous leurs armes et leurs habits.
Ce sont là choses de Perse auxquelles on s'habitue mais qui ne rendent pas Talidj plus habitales pour nos gouverneurs. Quelques heures à peine s'étaient écoulées depuis l'assassinat de Serdar-Afkhan que la ville de Recht avait repris sa physionomie accoutumée. L'ordre est parfait, le poste fonctionne entre Recht et Téhéran et le téléphone de même par la voie d'Enzeli. L'incendie du bureau de Recht a eu par contre ce résultat que les communications télégraphiques sont encore interceptées. (...)
La Croix – 3 mars 1909