22 avr. 09
Les actualités du 22 avril 1909
Violent incendie à la Plaine Saint Denis
Tout Paris était mis en émoi hier matin vers dix heures et demie par un immense nuage noir venant de la direction de Nord-Est. Ce nuage qui tout d'abord semblait le présage d'un orage violent se dessinait si nettement dans le ciel bien derrière la basilique de Montmartre qu'il n'était pas longtemps possible de douter qu'il fût provoqué par la fumée d'un incendie. Bientôt les bruits les plus divers coururent : "Ce sont de grands magasins qui brûlent", disaient les uns. "C'est une usine de produits chimiques d'Aubervilliers", disaient les autres ; d'autres encore affirmaient que c'était une fabrique de caoutchouc de Saint-Ouen qui était en feu. Aucune de ces hypothèses n'était la bonne.
C'étaient les caves des huiles de la compagnie des chemins de fer du Nord, situées rue du Landy, à la Plaine-Saint-Denis, qui étaient la proie des flammes. Les caves des huiles de la compagnie du Nord sont destinées à recevoir les provisions d'huiles de diverses natures, d'arachides, de pétrole et d'essence servant à alimenter toutes les gares. Elles occupent une superficie d'environ 10.000 mètres carrés formant un triangle, dont les trois côtés sont : 1° le talus du chemin de fer du Nord dit "la voie du Landy" ; 2° les rails du train-tramway allant de Pantin à Saint-Ouen, et 3° la rue des Poissonniers, ancienne rue des Fruitiers, longeant le cimetière parisien de Saint-Ouen. Sur ces caves a été construit un quai de débarquement où l'on décharge toutes les provisions d'huile qui sont descendues ensuite dans les caves.
Avant-hier matin, il était arrivé 900 tonneaux de 200 litres d'huile chacun, qui se trouvaient encore au moment de l'incendie sur le quai. Il était environ dix heures, hier matin, lorsque arriva une locomotive amenant sur le quai de débarquement sept wagons remplis de tonnes d'huile. En passant à côté d'une voie où se trouvait déjà une rame de wagons remplis de bidons d'huile, la locomotive laissa échapper une étincelle qui tomba à terre sous un wagon. Les chiffons graisseux qui se trouvaient près de l'étincelle prirent feu et les flammes se communiquèrent rapidement à l'huile répandue à terre et de la aux wagons qui, en l'espace de quelques instants prirent feu également.
Un plombier de la compagnie, M. Flamand, donna l'alarme aussitôt et prévint M. Bertrand, ingénieur du matériel roulant du Landy. Les ouvriers se précipitèrent vers la partie du quai qui n'était pas atteint et roulèrent aussitôt dans un terrain vague une cinquantaine de fûts remplis d'huile. Les pompiers de Saint Ouen, Saint Denis, Aubervilliers, de Clichy et les Pompes de toutes ces localités arrivèrent vivement sur les lieux du sinistre, ainsi que les pompes de l'Etat-Major. Leur rôle consista à diriger leur lance sur les poteaux télégraphiques, qui heureusement n'étaient pas ceux des communications Paris-Calais-Lille-Dunkerque comme on le supposait un moment mais seulement ceux servant à distribuer la force motrice provenant de l'usine située contre les caves qui étaient en feu.
Par bonheur, le vent d'Est soufflant dirigeait les flammes vers Saint-Ouen et elles ne firent que lécher la toiture de l'usine de la Compagnie sur laquelle on avait placé trois pompiers avec leur lance. Si le vent au lieu de venir de l'Est était venu de l'Ouest, tous les ateliers des wagons-lits situés contre la voie du Landy, où s'adossaient les caves en feu auraient certainement été détruits. Dans le triangle des caves se trouvaient, deux maisonnettes de la troisième division, construites en moellons, l'une occupée par un garde-barrière, une autre par le gardien dès caves, et un autre bâtiment un peu plus important où se faisait le filtrage des huiles ; les trois constructions ont été brûlées.
A dix heures et quart, le piquet d'incendie du 128e régiment d'infanterie de Saint-Denis sous les ordres du lieutenant Monin arrive au feu, précédant deux compagnies des 120e et 128e avec le colonel Navarre qui ont été mises à la disposition de MM. Mulnier et Siron, officiers de paix des XVIIe et XVIIIe arrondissements, chargés du service d'ordre et que secondaient les commissaires de police des localités avoisinantes, MM Léger, Leroy, Leblanc. A onze heures, M. Lépine, Préfet de police arrive sur les lieux du sinistre, coiffé de son casque de pompier, et cause longuement avec M. du Bousquet, ingénieur en chef de la Compagnie, qui lui explique que les caves sont sectionnées et séparées par d'énormes portes en fer, ce qui fait que les incendies sont successifs et empêchent ainsi une formidable explosion.
Les ouvriers de la Compagnie, dès le, début de l'incendie ont creusé une tranchée sur la voie, du Landy afin d'arrêter le feu, suivant le système adopté dans le Midi pour les incendies de forêts. Ce n'est que vers deux heures et demie qu'on a été maître du feu. On était parvenu a préserver les bâtiments voisins, mais des milliers de kilos de pétrole et d'huile avaient brûlé et la terre, imprégnée des liquides inflammables, dégageait encore une épaisse fumée.
Il y a eu à déplorer deux accidents pendant le feu ; un employé de la Compagnie, M. Bidart, qui était monté avec les pompiers sur le toit de l'usine de force motrice, a glissé sur les briques échauffées par les flammes et est tombé d'une hauteur de dix mètres se fracturant le bras droit; un journalier, M. Dominique Tentinger, âgé de trente-cinq ans, a été électrocuté par des fils télégraphiques tombés à terre, les poteaux ayant été consumés par le feu. Son état ne paraît pas inquiétant.
A une heure de l'après-midi, M. Lépine, entouré des ingénieurs de la Compagnie, s'apercevant qu'une prise d'eau ouverte inondait une plaque tournante sur laquelle de l'huile brûlait, donna des ordres pour la fermer. Plusieurs ouvriers s'élancèrent pour obéir, mais ils reculèrent devant l'intensité de la chaleur; alors le sergent Boularon, le caporal Gallet et le sapeur Collin, tous de la compagnie de la section des pompiers de la Plaine-Saint-Denis, se bandèrent la tête avec des mouchoirs mouillés et, se donnant la main, s'élancèrent dans la fournaise guidés par le lieutenant Lemoine ; ils parvinrent à fermer le robinet de la conduite. Ils s'éloignèrent ensuite rapidement et reçurent les félicitations de M. Lépine et des inspecteurs de la Compagnie.
Les dégâts sont approximativement évalués à 500.000 francs.
Le Petit Journal – 22 avril 1909