Les actualités du 20 juin 1909
Histoires de fantômes
La réputation des fantômes a été fâcheusement compromise par de sots mystificateurs. Il a paru spirituel à des mauvais plaisants, mal inspirés, de se promener dans des endroits déserts, après avoir pris soin de se revêtir d'un drap, et sans doute ils obtinrent ainsi des effets de frayeur assez réjouissants pour eux ; mais la ruse ayant été découverte, on s'est imagine que tous les revenants étaient de même acabit et il n'en a pas fallu davantage pour ruiner une croyance établie depuis des siècles, et basée sur des manifestations indiscutables.
La situation des fantômes a été fort atteinte par ce genre de concurrence déloyale, et l'on peut croire que ces apparences errantes ont dû concevoir une profonde mélancolie en apprenant — tout finit par se savoir — de quels vilains procédés elles étaient les innocentes victimes. Esclaves de leurs obligations, ces honnêtes spectres n'en poursuivent pas moins leurs nocturnes promenade autour des cimetières, auprès des étangs, des bois et dans les corridors des vieux manoirs, mas. leur obstination courageuse se heurte à l'incrédulité générale.
Seule, la science pouvait les tirer de cet état de marasme et de déchéance. Il semblera peut-être paradoxal de réclamer les services de la science, en faveur d'apparitions réputées peu scientifiques. Cependant, ce n'est pas sans raison que j'écris ceci, attendu qu'un livre a paru ces temps-ci, nous apprenant qu'il existe des phénomènes très troublants, observés avec soin, et qui démontrent qu'un fantôme n'est point une simple imagination, mais quelque chose de réel.
Telles sont, du moins, les conclusions de M. Durville, dans son ouvrage sur le Fantôme des vivants, ou il nous raconte comment certaines personnes voient leur sensibilité se concentrer hors de leur corps, sous la forme de légères vapeurs qui finissent, en se réunissant, par constituer un espèce de spectre a leur ressemblance. Ces spectres sont visibles pour tout le monde, et l'auteur cite à ce propos l'aventure extraordinaire d'une demoiselle Emilie Sagée, jeune Française, sous-maîtresse dans un pensionnat de filles nobles des environs de Riga.
Celle demoiselle venait a peine d'entrer en fonctions quand les élèves l'aperçurent, a la même minute, dans deux endroits à la fois. Un jour, dit M. Durville, les jeunes filles virent, tout à coup, deux Emilie Sagee, exactement semblables et faisant les mêmes gestes: l'une cependant tenait a la main un crayon de craie et l'autre rien. Peu de temps après, Antoinette de Wrangei faisait sa toilette, Emilie lui agrafa sa robe par derrière ; la jeune fille vit dans un miroir, en se retournant, deux Emilie agrafant ses vêtements et s'évanouit de peur. Quelquefois, aux repas, la double figure paraissait debout, derrière la chaise de la sous-maîtresse et imitait les mouvements qu'elle faisait pour manger, mais ses mains ne tenaient ni couteau, ni fourchette.
Une autre fois, Emilie Sagee, lisant au salon, se trouvait aussi dans le jardin, occupée a faire un bouquet. Pour le coup, la frayeur s'empara des filles nobles de Riga, qui rentrèrent chez leurs parents. Quant a la sous-maîtresse, on ne nous raconte pas ce quelle devint. Si ce récit est exact, il faut admettre que cette étrange personne mourut dans l'année, ainsi que cela doit arriver en pareil cas.
Ceci n'est pas un conte. Celui ou celle dont on voit le double, meurt de mort violente dans les douze mois De ce fait certain, un des exemples les plus frappants fut tragiquement fourni par le jeune Rovigo. fils du ministre impérial de la police, sous Napoléon 1er. Brillant officier il assistait a la bataille de l'Isly, quand il mourut ainsi qu'il l'avait prévu. Un an plus tôt, comme il passait Un an plus tôt, comme il passait quelques semaines chez sa sœur, mariée en Ecosse, celle-ci le vit distinctement devant elle, marchant au milieu d'une allée du parc, alors qu'il se tenait debout sur le perron du château. En apercevant de son erreur, elle se prit à pleurer assurant qu'il serait en danger de mort toute l'année. Or, les douze mois prenaient fin le jour même, de la bataille. Comment s'était formée l'image du malheureux Rovigo ? A son insu, certainement. Sa sensibilité s'était extériorisée pendant qu'il songeait vaguement aux choses qu'il avait sous les yeux.
Il paraît, d'ailleurs, que les fantômes des vivants se constituent toujours de la même manière. Leurs facultés sont identiques dans tous les cas. Ils voient, ils entendent, mais, tant qu'ils sont lumineux, tant qu'on peut les contempler, ils ne se livrent à aucune action nécessitant l'emploi de la force. Pour cela, ils disparaissent complètement, et c'est dans leur état d'invisibilité qu'ils soulèvent des tables, donnent des soufflets aux profanes et jouent plus ou moins bien du violon.
Aussi longtemps qu'un fantôme est visible, il ressemble à ces comètes, dont j'ai parlé a cette place. Il peut être traversé, percé, sans en être incommodé. Par contre, il devient sensible dans l'ombre, mais d'une sensibilité relative, car s'il se heurte aux meubles, c'est le sujet dont il est sorti qui éprouve la douleur et garde les bleus. J'ai vu endormir une femme, puis, tandis qu'elle était gardée à vue on allait, a l'autre extrémité de la maison, placer sa sensibilité dans un verre d'eau. Dans cette eau, on plongeait une aiguille, et, tout aussitôt, la dormeuse poussait un cri violent. C'est un peu l'histoire des fantômes, car, s'ils viennent a se battre, leurs légitimes propriétaires portent la trace des coups.
Ces propriétaires peuvent obtenir des résultats extraordinaires, s'ils savent discipliner leur double. Ce dernier n'est arrêté, en effet, par aucun obstacle ; il traverse les murailles, il franchit les montagnes, enjambe les océans, de telle sorte que si vous le voulez, vous pouvez envoyer votre fantôme voir ce qui se passe aux antipodes, tandis que vous somnolez paisiblement. Au retour, il vous rapportera avec fidélité tout ce qu'il aura appris. M. Durville cite, en ce genre, des expériences merveilleuses qui, par la suite des temps, deviendront communes et familières.
Seulement, si la personne de qui le fantôme vagabonde vient à mourir pendant l'absence de son double, celui-ci reste éternellement sans domicile. Et c'est ainsi que s'explique d'une façon rationnelle la présence d'une foule de revenants qu'on rencontre, se promenant avec tristesse dans les anciennes demeures, où ils s'obstinent à chercher le corps d'où ils sont sortis jadis, tout en se rendant compte de ce qu'il y a d'un peu ridicule dans leur situation. C'est probablement ce qui leur donne cette humeur revêche constatée par tous ceux qui nouèrent avec eux des relations accidentelles.
Tel est aujourd'hui l'état de la question. Le dernier mot n'est pas encore prononcé, mais, dès maintenant, on est fondé à supposer que les savants ne tarderont pas à faire la pleine lumière sur ces ténébreux problèmes.
Le Petit Parisien – 20 juin 1909
Une tigresse sur les quais de Marseille |
La
catastrophe du Columbia |
EN BREF
Les policemen et la maison hantée - La police de Hull s'applique à
éclaircir le mystère d'une maison hantée habitée par M. et Mme Gilson.
Dernièrement, on enterrait le frère de Mme Gilson,et, depuis, les phénomènes les
plus étranges se produisent dans la maison : les brosses et les peignes dansent
une sarabande dans la chambre à coucher; de petits cailloux traversent les
portes fermées. Épouvantée, Mme Gilson, l'autre jour, appela au secours par la
fenêtre. Un policeman arriva en hâte et entra d'abord dans la cuisine; il vit
avec stupeur la boîte à cirage, que nulle main visible ne lança, passer
au-dessus de sa tête. Pénétrant dans la salle à manger déserte, il vit les
tasses et les verres sauter de la table par terre, non sans dommage du reste.
Alors, il alla chercher du renfort. Celui qui, le premier, se présenta fui le
policeman O'Kelly, champion de lutte des poids lourds, aux Jeux olympiques; mais
tout était rentré dans le calme et O'Kelly ne put verbaliser que sur les dégâts,
dont on essaie maintenant de deviner les causes. L'écho du merveilleux – 15
juin 1909