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CPA Scans
29 juin 2009

Les actualités du 29 juin 1909

execution algerie

Le bourreau d'Alger a tranché trois têtes

L'œuvre de Justice est faite : les trois assassins de l'inspecteur des forêts Dubois et du brigadier Barbier ont expié leur forfait. Voici le compte rendu détaillé de cette triple exécution qui, hâtons-nous de le dire, a produit une impression profonde sur les nombreuses personnes venues des villages environnants pour assister au châtiment des coupables. Ainsi que je vous l'ai dit hier, la guillotine a été dressée, dans la nuit, au centre d'un vaste quadrilatère borné au nord par l'immense plaine de Taouilila, au sud par le Djebel Naima au dessus duquel se profile, sur l'azur bleu du ciel, le poste de télégraphie optique, à l'est par le Djebel Bouhalf et à l'ouest par une rangée de maisons parmi lesquelles se trouve la mairie.

Les deux bras de la sinistre machine se profilent sur la montagne verdoyante qui lui fait un magnifique écran. II est minuit Avant d'aller prendre quelques instants de repos, je me rends sur les lieux de l'exécution ou le spectacle est vraiment curieux. Autour de l'échafaud sont, édifiées les tentes des légionnaires chargés d'en assurer la garde. Les paroles de quelques rares curieux et les pas des sentinelles troublent seuls le silence de la nuit. Un magnifique clair de lune projette sur ce décor une douce clarté.

À trois heures et demie du matin, je sors pour me rendre sur le lieu de l'exécution. Le temps est magnifique : de nombreux colons des environs, les habitants de Bossuet et plusieurs Bel-Abbésiens, venus en automobile, sont déjà groupés autour de l'échafaud. Mais voici que les soldats refoulent tout le monde et, un instant après, les deux, cents légionnaire venus de Bel-Abbès forment un carré d'environ 100 mètres de côté destiné à maintenir les curieux qui, maintenant, sont très nombreux. Beaucoup d'entre eux, parmi lesquels des femmes, ont envahi les toitures des maisons environnantes ou sont groupés sur les arbres des alentours.

Je remarque avec une vive surprise l'abstention, pour ainsi dire complète, de la population musulmane. Seuls, quelques rares indigènes se trouvent parmi les curieux. Et comme je demande des explications sur ce fait, on me répond que leur absence avait été décidée depuis longtemps déjà pour manifester contre le mode d'exécution imposé aux condamnés, qu'ils auraient préféré voir fusiller.

Mais voici M. Lapeyre et ses aides, qui arrivent pour s'assurer du bon fonctionnement de la sinistre machine. L'exécuteur fait jouer plusieurs fois le déclic, puis, satisfait, attends que les coupables lui soient livrés, Afin d'éviter aux condamnés un long trajet de six cents mètres, qu'ils auraient eu à accomplir pour se rendre du pénitencier militaire où ils ont passé la nuit sur le lieu de l'exécution, il avait été décidé hier qu'ils seraient transférés à la mairie du village située à environ 30 mètres de l'échafaud, et que là seulement leur serait révélé officiellement ; l'horrible sort qui les attend et qu'ils connaissent d'ailleurs depuis la veille.

A quatre heures et demie les condamnés sont extraits de leur cellule et conduits dans une voiture fermée, escortée d'un peloton de gendarmes à la mairie où ils sont introduits par une porte opposée à celle qui fait face à la guillotine. Il est exactement cinq heures moins un quart quand M. Leclerc, procureur de la République, qui a dirigé avec le plus grand sang-froid et un tact parfait ces lugubres préliminaires, pénètre dans la cour où se trouvent les condamnés. Il s'adresse à eux en ces termes qui sont immédiatement traduits en langue arabe par un interprète.

Cheilk ould Cheik, Mohamed ben Slimane, Nour Bouchta, je vous ai menti hier, quand je vous ai déclaré qu'on vous amenait a Daya pour un supplément d'information. Le Président de la République a rejeté votre pourvoi en grâce et vous êtes condamnés à la peine de mort pour expier le crime que vous avez commis sur Dubois et Barbier. Les deux premiers condamnés écoutent impassibles la terrible sentence. Seul Nour Bouchta proteste encore de son innocence.

Le muphti s'avance alors et d'une voix que l'émotion rend tremblante il leur adresse de suprêmes exhortations qui sont écoutées religieusement par les trois condamnés, qui, après avoir refusé les petits verres et les ci carettes qu'on leur offre, sont remis entre les mains du bourreau. Les condamnés sont conduits dans une salle ou M. d'Alger et ses aides procèdent rapidement à la dernière toilette. Pendant cette opération qui dure à peine trois minutes pour chacun des condamnés, ces derniers murmurent des prières : seul Mohamed ben Slimane prend la parole pour recommander aux aides de "faire doucement parce qu'il est malade."

A 5 h. 7, la porte de la mairie s'ouvre et Cheilk ould Cheik s'avance, pâle et défait, soutenu par les aides. Il tient les yeux baissés. Sans aucune résistance il est couché sur la planche qui bascule. M Lapeyre fait jouer le déclic, le sinistre couperet tombe avec un bruit sourd et une première tête roule dans le panier. Très rapidement l'exécuteur et ses aides essuient avec une éponge le couperet et les montants sur lesquels le sang ruisselle, puis la porta s'ouvre à nouveau et Mohamed ben Slimane apparaît.

Le malheureux, qui n'est plus qu'une loque humaine, franchit les trente mètres qui le séparent de la sinistre machine, littéralement porté par les aides. Cependant au moment où il bascule sur la planche fatale, le malheureux se débat énergiquement et les aides sont obligés de le pousser et de le tirer par les oreilles pour fixer sa tête dans la lunette. Cette lutte dure l'espace d'une seconde : le couperet s'abat une seconde lois et la deuxième tête tombe pendant que deux femmes, sur le toit d'une maison voisine, poussent un terrible cri de frayeur et s'évanouissent.

Enfin, Nour Bouchta, le troisième condamné, parait. Le bandit, dont l'energie est toujours aussi grande, s'avance droit, d'un pas ferme, en regardant fixement la guillotine. Au moment où il va l'atteindre, il s'écrie d'une voix forte : O vous caïds, ô vous chaouchs, soyez témoins que je récite ma profession de foi. A peine a-t-il proféré ces paroles, que les aides le saisissent et veulent le placer sur la bascule. Mais le condamné vient d'apercevoir dans le panier les corps des deux autres condamnés et, avec une vigueur surprenante, il se jette en travers de la planche fatale. Un court instant de lutte ; sa tête est engagée dans la lunette, nouveau geste de Lapeyre vers le déclic et le bruit du couteau s'entend pour la troisième fois. Justice est faite.

Il est maintenant exactement 5 h 11. Lapeyre a donc mis quatre minutes seulement pour mener à bonne fin la triple exécution, dont il était chargé et qui a eu lieu, jour pour jour, trois ans après la dernière qu'il ait eu à opérer. Immédiatement après l'exécution, le panier funèbre est chargé sur une charrette et les corps des trois suppliciés sont conduits au marabout de Sidi Bakaredj, situé à environ un kilomètre du village, ou trois minuscules fosses ont été creusées poux les recevoir.

La j'assiste à une très émouvante cérémonie. Le panier est ouvert et le mokhaden, gardien du marabout, aidé par quelques Arabes qui accomplissent cette besogne avec une visible répugnance, retire les corps des trois condamnés puis les dépouille entièrement de leurs anciens vêtements pour les glisser avec leur tête dans une gandoura en étoffe neuve. Les lugubres dépouilles sont ensuite placées dans les fosses qui, peut-être, deviendront un lieu de pèlerinage pour les musulmans.

Quoi qu'il en soit, c'est avec une profonde et vive satisfaction que tous les colons habitant la région de Daya ont vu s'accomplir cette exécution, attendue depuis si longtemps. Tous les fonctionnaires, les journalistes et les personnages officiels qui ont assisté à cet acte de justice ont pu éprouver un frisson d'horreur, mais ils n'en conserveront pas moins un souvenir réconfortant, en songeant que ce terrible châtiment, grandement mérité, portera sûrement ses fruits et sera un gage de sécurité pour l'avenir.

Le Petit Parisien – 29 juin 1909

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Une éxécution capitale à Paris

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