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CPA Scans
31 janvier 2010

Les actualités du 31 janvier 1910

Inondation 1910 saint lazareLa baisse

De minuit à quatre heures du soir, hier, la Seine a baissé de 37 centimètres. On compte que la baisse totale atteindra aujourd'hui, à midi, 65 centimètres. Or, la Marne a baissé, à Chalifert, de 74 centimètres. L'Yonne, s'il faut tout dire, a monté de 30 centimètres environ. Mais la décroissance de la Marne compense cette hausse, qui ne se fera sentir à Paris que demain et pour 10 centimètres seulement. Corbeil est complètement dégagé. La Seine, à Bray, a baissé de 37 centimètres; à Montereau, de 76 centimètres; à Melun, de 1 m. 12. Les services officiels envisagent donc la situation avec optimisme.

Les Parisiens, au contraire, après s'être immodérément réjouis d'une baisse d'un centimètre, trouvent trop faibles les chiffres que nous venons de publier et s'impatientent. Mais l'eau commence à abandonner la gare Saint-Lazare. Elle diminue sur le quai de la gare et sur la voie du chemin de fer d'Orléans. Elle diminue boulevard Saint-Germain, Nous revoyons les arches des ponts. Réjouissons-nous, et n'en demandons pas trop. Le temps est beau. Le baromètre monte et le thermomètre descend. Tous les espoirs nous sont permis.

Et cette douceur d'espérer met un air de bonne humeur sur les visages. Une foule énorme la foule des beaux dimanches et des jours fériés parisiens couvre les quais, partout où ils sont accessibles. Et comme le spectacle est grandiose,et comme on commence à avoir moins peur, on s'émerveille. On ne songe plus qu'à la nouveauté prodigieuse de ce décor.

La foule ne couvre pas seulement les quais; elle se répand sur tous les points de la ville où s'est répercuté le désastre; elle entoure les barrages de cordes de la gare Saint-Lazare et du Cours de la-Reine; elle va vers les marécages de l'esplanade des Invalides; elle s'entasse à l'extrémité des canaux que sont les rues de la rive gauche où l'on navigue depuis cinq jours. Elle ne devient plus grave que là où l'inondation a créé des misères qu'elle voit, du côté de Passy, d'Auteuil, de Grenelle; partout où un peu de tragique apparaît à côté du pittoresque car la foule parisienne est la meilleure des foules, et son besoin de rire, de narguer, d'admirer, en face de ce qui est plaisant ou admirable, n'a d'égal que son empressement à s'attendrir en face de tout ce qui est digne de pitié.

Autour de la Gare Saint-Lazare. Grâce aux barrages multipliés, le lac du boulevard Haussmann s'est rétréci de moitié en vingt-quatre heures. Hier,dimanche, à midi, l'eau n'apparaissait plus à la surface du sol que sur l'espace compris entre la station des Omnibus, devant la gare Saint-Lazare, la rue Pasquier, la rue des Mathurins et la partie inférieure de la rue de Rome.

La baisse de l'eau en cet endroit n'est pas due seulement à la baisse de la Seine. Les ingénieurs avaient commis une erreur qu'ils ont reconnue hier seulement. En effet, ils avaient pris des mesures pour faire évacuer dans le grand collecteur d'Asnières une partie des eaux du lac. Or, au bout de quarante-huit heures, et malgré que le courant parût très violent, le niveau des eaux restait le même. Un examen prouva qu'on renvoyait l'eau, non pas dans le collecteur d'Asnières, mais dans l'égout d'où elle était précisément sortie. L'erreur reconnue, il fallut peu de temps pour la réparer. Et l'eau baissa comme on l'a vu.

Déjà les barques et bachots, hier, avaient disparu, emportés sur des charrettes vers d'autres points sinistrés. Les habitants parvenaient à sortir, de chez eux par les portes, à l'aide de successifs échafaudages et de planches disposées sur des chevalets par un détachement du 3e génie, arrivé le matin d'Arras.

Peu de voyageurs, en comparaison des autres beaux dimanches et hier fut une journée splendide débarquaient des trains de 1'Ouest pour visiter Paris inondé. La clientèle ordinaire de la banlieue ouest était retenue dans ses villes et villages par la crue, dont l'intensité n'avait pas diminué pour eux, au contraire, effet naturel du lent écoulement des eaux accumulées. Tandis qu'à Paris on constatait une baisse légère mais continue, l'augmentation de vingt-cinq centimètres sur la journée de vendredi s'inscrivait au pont de Sartrouville, et la situation devenait critique pour les riverains immédiats, entre Bougival et Mantes.

Inondation 1910 ivryLa foule constatait en entrant dans Paris que les cordons de troupes, au lieu de s'étendre, avaient été sagement resserrés. Les factionnaires n'interdisent plus que la zone strictement dangereuse.

Les commerçants ont décidé de se réunir et de protester contre la prolongation d'un état de choses qui leur porte un préjudice grave, puisque l'accès de leurs magasins est interdit au public. Malheureusement, si l'œil aperçoit moins de dommages à la surface des rues, dans ce beau quartier de Paris, ce qui se passe hors de la vue des foules curieuses de spectacles insolites est navrant.

Dans la journée d'hier, l'eau ne cessait d'envahir l'une après l'autre les caves dans plus de deux cents immeubles entre la gare Saint-Lazare et la Madeleine. Tout un tronçon des rues d'Anjou, des Mathurins, de Castellane, de l'Arcade,Pasquier, Chauveau-Lagarde, est noyé dans plusieurs mètres d'eau. Certaines caves sont à demi pleines, d'autres le sont tout à fait. Lentement, le niveau s'établit par infiltration, de proche en proche, jusqu'au dos d'âne formé par le sol au passage de la Madeleine. Là, semble-t-il, l'invasion souterraine s'arrête. Mais on la retrouve aussi menaçante, à trois cents mètres de ce point, en contre-bas de la Madeleine, aux approches du faubourg Saint-Honoré.

Des centaines d'ouvriers sont occupés çà et là aux travaux d'assèchement les plus urgents. Une maison d'aspect inquiétant, au 17 de la rue Pasquier, est l'objet d'un travail de consolidation énorme. On y a multiplié les madriers de soutènement. On peut se demander comment l'eau a pu gagner aussi vite un pareil niveau dans toutes les caves d'une même région de la ville. Ce n'est pas évidemment par communication de proche en proche.Les gros murs séparatifs des maisons, sans être absolument imperméables, ne laisseraient pas ainsi passer des milliers de mètres cubes à travers leurs pierres meulières. Et cette infiltration, si elle était possible, mettrait des mois à gagner de proche en proche les points que l'inondation des caves vient d'atteindre en quarante-huit heures.

Il faut chercher sous les maisons la cause de ce désastre. Il faut incriminer la nappe d'eau bien connue de la Grange-Batelière, qui s'étend sous les neuvième et huitième arrondissements. Perdue dans les entrailles du sol, sinon disparue, elle s'est relevée à mesur que le volume de la Seine s'enflait. Aux premiers débordements elle a repris les proportions anciennes. Et c'est pourquoi l'invasion des caves est simultanée, par en-dessous.

Aux Champs-Elysées, là circulation est interrompue depuis l'avenue Matignon jusqu'à la rue du Colisée. Car les eaux, sortant d'un égout crevé, ont envahi la chaussée. On a établi une passerelle en planches qui réunit les quais du Cours-la-Reine à la rue Jean-Goujon et à l'avenue d'Antin. Sur la place de la Concorde l'eau jaillissait en cascade d'un puits de la ligne du Métro. Des soldats du génie l'ont bouché. Les eaux s'en iront sur le Cours-la-Reine, près du Petit Palais.

D'autre part, les travaux de défense exécutés sur le quai de la Conférence ont résisté le mieux du monde à la poussée de la Seine. Les soldats n'ont pas .employé moins de 8,000 sacs de terre à surélever et à soutenir les parapets. On circule toujours en bachot dans la rue Cambacérès, inondée hier par suite de la rupture d'un égout. Un inconnu, qui se trouvait en humeur de plaisanter, à terrorisé hier les concierges du quartier. Il allait de loge en loge, disant: Déménagez, et dites aux locataires de déménager. Les maisons vont s'effondrer. Par bonheur, les concierges ont eu l'idée de consulter le commissaire, qui les a rassurés.

Rue Saint-Honoré, à l'angle de la rue Richepanse, on redoute que la chaussée, sous les pavés, ne soit ravinée par l'inondation. On a étayé la maison qui porte le numéro 5 de la rue Richepanse. Au Palais-Bourbon, à la gare des Invalides, rue de Bellechasse, rue de Bourgogne et boulevard Saint-Germain, l'eau recule. Toutefois, il faut encore naviguer et non point marcher. La baisse des eaux s'accentue à Grenelle et surtout à Bercy. Dans ce dernier quartier, on peut aller à pied sec. Quai de la Râpée, près du pont de Bercy (qui sera rendu aujourd hui à la circulation), des habitants se préparent à réintégrer leurs maisons. Amélioration aussi dans le quartier du Jardin-des-Plantes. Malheureusement, une girafe et deux antilopes sont mortes.

M. Lepine, chaussé de bottes d'égoutier, s'est rendu hier à Auteuil. Il a fait dégager le viaduc contre les piliers duquel s'étaient amoncelés des débris de toutes sortes. Les sinistrés sont logés, et nourris avec abondance. Sur les berges l'eau a baissé de 20 centimètres. La rue La Fontaine et une partie de l'avenue de Versailles sont sèches. Les eaux ont quitté les rues du Chemin-Vert, de la Roquette, de Charonne, et Trousseau. Egalement, elles se sont retirées du quai Conti, du quai Malaquais, de la rue Bonaparte et de la rue des Saints-Pères. Elles diminuent quai des Grands-Augustins, rue Jacob et rue Saint-André-des-Arts.

L'eau continue à pénétrer dans les sous-sols des Halles, mais toutes les précautions sont prises pour que les services de l'alimentation n'en souffrent pas. Les arrivages partent normalement. Il n'y a donc aucun motif il est bon de le dire pour que les commerçants élèvent le prix des denrées. L'électricité manquera peut-être cette nuit aux Halles, encore que de fortes pompes fonctionnent à la station. En tout cas, toutes les précautions ont été prises pour que l'éclairage soit assuré.

Les éditeurs des publications périodiques s'excusent auprès du public du retard qui pourrait se produire dans l'apparition de leurs publications, retard dû à la situation difficile et pénible créée par les inondations dans la région parisienne, tant au point de vue du travail dans les imprimeries que des interruptions survenues sur plusieurs grandes lignes de chemins de fer. Les bouquinistes des quais sont dans la désolation. Ils se sont réunis hier et ont nommé une délégation qui ira entretenir les pouvoirs publics de leur situation, et leur demander s'il n'y aurait pas lieu de transférer provisoirement sur la rive droite les boîtes des bouquinistes qui ont le plus souffert.

Un soldat du 5° génie, monté sur une échelle, Cours-la-Reine, travaillait à placer des fils. Il tomba et se blessa grièvement. Il est soigné à Beaujon. Deux fortes pompes épuisent l'eau qui a envahi les caves du Musée du Louvre où sont placés les creux des moulages. On pense que l'opération sera terminée aujourd'hui. Des effondrements se sont produits sur plusieurs points du boulevard Berthier. Le sauvetage des titres déposés à 1a Caisse municipale est assuré

Le Figaro – 31 janvier 1910

EN BREF

Sauvés de justesse - Au Pecq, deux jeunes gens, Adolphe et Arsène Bajuns, âgés de 17 et 15 ans, étaient restés seuils dans leur maisonnette qui constituait tout leur avoir. En raison du danger, leurs deux sœurs cadettes avaient été déjà hospitalisées par les soins de la municipalité. La nuit dernière, les deux frères, réveillés par des craquements sinistres, se levèrent en sursaut et se sauvèrent dans le jardin, recouvert d'un mètre d'eau. Au même instant, la maison s'effondrait derrière eux. Les jeunes gens, qui n'avaient même pas pu sauver leurs vêtements, ont été recueillis par des sauveteurs et hospitalisés à Saint-Germain-en-Laye. Le Petit Journal – 31 janvier 1910

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