03 févr. 10
Les actualités du 3 février 1910
Nos pontonniers
Les pouvoirs publics ont déjà rendu un éclatant hommage au dévouement, à l'héroïsme simple dont nos petits troupiers ont fait preuve au cours des jours sinistres que nous venons de traverser ; Paris et sa banlieue leur conserveront une éternelle reconnaissance pour le secours qu'ils ont apporté sans compter aux sinistrés, pour les vies innombrables qu'ils ont préservées, pour les catastrophes plus épouvantables encore qu'ils ont conjurées. Partout, sur les points les plus menacés de la grande ville et des environs, on les a vus à l'œuvre jour et nuit, alertes, infatigables, conservant malgré tout leur bonne humeur native, cette qualité nationale de notre armée qui l'a si heureusement soutenue en tant de circonstances difficiles.
Parmi les troupes qui ont pris part à la lutte contre la terrible inondation, nous devons mettre au premier rang les pontonniers dont le dévouement a été au-dessus de tout éloge. A Alfortville, à Gennevilliers, dans les quartiers les plus atteints de Paris, ils ont fait merveille. Un habitant d'une des communes les plus éprouvées de la banlieue nous racontait hier avec quelle activité, quelle prestesse ils rétablissaient les communications, ils jetaient en une heure à peine des ponts de fortune que n'eût pas désavoués le plus habile des ingénieurs.
Nos pontonniers n'en sont pas, on le sait, à leur coup d'essai. Il y a un siècle à peine qu'ils existent en tant que corps spécial, et pourtant nul corps de troupe ne peut présenter un historique plus glorieux, plus abondant en actions d'éclat. Il nous faudrait un gros volume pour en refaire, même succinctement, les annales. On a vu les pontonniers pendant les grandes guerres de la Révolution et de l'Empire, aux fameux passages du Rhin, du Danube, de la Vistule, en Allemagne, en Italie, en Espagne, en Russie. C'est pendant cette dernière campagne qu'ils donnèrent les preuves les plus éclatantes de leur indomptable courage et de leur savoir-faire, comme l'atteste le nom glorieux de la Bérézina inscrit en lettres d'or sur leurs drapeaux.
On sait l'émouvant épisode. Au cours de la fatale retraite, Napoléon, pour alléger la marche de l'armée, avait fait détruire presque tout son matériel. On arrive à la Bérézina, dont tous les ponts sont coupés, et l'on se heurte à l'infranchissable rivière, poussé par l'armée russe qui harcèle sans répit nos troupes débordées. L'Empereur fait appeler le général Eblé et lui ordonne de faire jeter des ponts avec ce qui lui reste de pontonniers et de matériel.
Eblé, prévoyant, avait sauvé quelques caisses d'outils. Avec une centaine de pontonniers, il se met à l'œuvre; on trouve du bois dans un village voisin, on le traîne jusqu'au bord de la rivière, et les héroïques soldats, plongés jusqu'aux aisselles dans les eaux glacées, établissent en quelques heures deux ponts longs de plusieurs centaines de mètres. Les pontonniers, raconte un témoin oculaire, travaillaient au milieu des glaçons qui leur battaient les épaules, les bras et les Jambes et s'attachaient aux chairs en leur causant d'atroces douleurs; mais ils souffraient sans se plaindre; la pensée que le salut de tous était dans leurs mains, et l'imminence du péril semblaient avoir triplé leur courage et leurs forces...
On sait la suite. Les débris de la Grande Armée purent franchir la rivière, tandis que le brave des braves, Ney, avec une poignée d'hommes, brisait les attaques furieuses de l'ennemi. Et lorsque tout le monde fut passé, les pontonniers, restés les derniers, rompirent les ponts qu'ils avaient eu tant de peine à construire.
Partout les pontonniers se sont conduits de la même façon qu'à la Bérézina, en Algérie, au Mexique, au Tonkin et aussi pendant la guerre de 1870, où ils surent encore s'illustrer à la défense de Strasbourg. Ce que les pontonniers ont fait à la Bérézina, ils viennent de le refaire à Paris et aux environs, dans des circonstances presque aussi tragiques. Une vieille réputation de bravoure et de dévouement plane sur ces soldats. Peu de corps ont pris part à tant de campagnes; il n'est aucune guerre, aucune expédition lointaine, il n'est aussi aucun désastre intérieur où l'on ne voie apparaître, au plus fort du danger, quelque détachement de ces soldats d'élite. Sur la Loire, sur le Rhône, sur la Garonne, et, ces jours derniers, sur la Seine, ils ont continué, et avec quel entrain ! les glorieuses traditions de leurs anciens de la Bérézina. Honneur aux pontonniers !
Le Gaulois – 3 février 1910
EN BREF
Un vandale détériore une tapisserie de Cluny -Un vandale inconnu a détérioré hier au musée de Cluny une magnifique tapisserie représentant la Bataille de Jarnac. Cette œuvre d'art, qui date du seizième siècle, se trouve dans la salle de l'Ordre du Saint-Esprit, derrière une vitrine où sont renfermés les insignes de cette fondation. L'acte stupide a été découvert au moment de la fermeture, pendant la dernière tournée d'inspection de la journée ; on constata que la tapisserie avait reçu une estafilade d'environ vingt centimètres de long, de haut en bas, et faite, à hauteur de la main, à l'aide d'un rasoir La Bataille de Jarnac est déjà très détériorée par le temps, et La restauration sera assez délicate. M. Edmond Haraucourt conservateur de Cluny, a avisé M. Dujardin-Beaumetz et le commissaire de police. Dans la soirée, le sous-secrétaire d'Etat aux Beaux-Arts a déposé une plainte entre les mains de M. Monier, procureur de la République. Ce magistrat a fait ouvrir aussitôt par son substitut, M. Lassus, une information officieuse contre X..., sous l'inculpation de détérioration d'objets servant a la décoration publique. L'auteur de cet acte de vandalisme est recherché par la sûreté. Le Petit Parisien – 3 février 1910
Terrible explosion dans une mine mexicaine - Laredo (Texas), 3 Février
- Une explosion de gaz s'est produite, hier, dans la mine de houille Esperanzas,
au Mexique ; soixante-huit mineurs ont été tués et cinquante blessés. La plupart
des victimes sont des Mexicains et des Japonais. L'explosion aurait été
provoquée par une cigarette qu'un mineur fumait, malgré le règlement qui
interdit de fumer dans la mine. Le Petit Journal – 3 février 1910