Les actualités du 6 mai 1910
Le chef de la sureté mets sous les verrous l'assassin de la femme coupée en morceau
On se souvient, sans doute, que dans la nuit du 27 février dernier, une femme, Elisa Vandamme, rencontrait, faubourg du Temple un ouvrier au domicile duquel elle se rendit, y fut assassinée et coupée en morceaux. La tête de la malheureuse fut découverte rue Botzaris et ses pieds a Pantin. Depuis l'accomplissement de ce forfait, M. Hamard, chef de la Sûreté, multipliait ses recherches pour en découvrir l'auteur dont il possédait le signalement grâce aux déclarations de deux amies d'Eiisa Vandamme qui avaient vu l'homme avec qui elle s'était éloignée et qui lui avaient même parlé.
M. Hamard a été assez heureux pour voir aboutir ses incessantes investigations : il a arrêté l'auteur du crime, un ouvrier journalier nommé Ferdinand, évadé de la Guyane où il avait été dirigé à la suite d'une condamnation à cinq ans de travaux forcés prononcée contre lui par la cour d'assises de la Seine, en 1901, pour sa participation: dans un vol de 70,000 francs commis à Bagnolet avec effraction.
Les agents du service de M. Hamard fouillaient depuis le 27 les quartiers du 10e, du 11e, du 19e et du 20e arrondissements, où l'on supposait que le crime pouvait avoir été commis. Ils ont ainsi visité au moins des milliers d'immeubles. Au cours de cet interminable travail, ils apprirent, hier, que des cris avaient été entendus dans une chambre du n° 40 de la rue des Marais. Ils firent aussitôt part de ce renseignement à M. Hamard qui prit des informations sur le locataire de cette chambre, qui était un ouvrier. Ensuite, il le fit venir à son bureau, où l'ouvrier déclara s'appeler Antoine Vincenzini, être Corse et travailler dans une blanchisserie du faubourg Saint-Honoré.
Le chef de la Sûreté, qui était fixé sur l'identité du locataire de la rue des Marais, lui fit observer qu'il n'avait pas du tout l'accent corse ni méridional. Sur cette observation,Vincenzini reconnut qu'il s'appelait Ferdinand. Mais, dit-il, vous me connaissez, monsieur Hamard. Vous m'avez déjà arrêté. En effet, lui répondit le chef de la Sûreté, ce n'est pas la première fois que je vous vois devant moi. En 1901, répliqua l'autre, je suis venu ici. Condamné aux travaux forcés, je me suis échappé de la Guyane, j'ai gagné la Guyane hollandaise, d'où je suis parti pour le Venezuela; du Venezuela, je me suis rendu au Brésil et j'ai habité quelque temps Rio-de-Janeiro. Enfin je suis rentré à Paris, en novembre dernier. J'ai travaillé quai de Valmy chez un menuisier. Enfin je me suis mis dans mes meubles, 40, rue des Marais.
Après avoir entendu ces explications, le chef de la Sûreté déclara à Ferdinand qu'il était tenu pour l'auteur de l'assassinat d'Elisa Vandamme et que son signalement répondait absolument à celui qu'avaient donné de lui les amies de la victime. Mais l'ancien forçat protesta contre cette accusation. M. Hamard n'insista pas davantage sur le moment et se rendit au domicile de l'accusé. Il y procéda à une longue perquisition su cours de laquelle il découvrit une clef qui ne s'adaptait pas à la serrure de la pièce et dont il se saisit aussitôt. Il la remit au brigadier de la Sûreté, Duchet, qui se rendit passage Julien-Lacroix et constata qu'elle jouait normalement dans la serrure de la porte de la chambre d'Elisa Vandamme. C'était en effet la clef de celle-ci que M. Hippolyte Buisson, garçon de l'hôtel du passage Julien-Lacroix, où logeait Elisa Vandamme, et le tenancier de cet établissement, M. Giraud, ont reconnue comme étant celle de la victime.
Mais Ferdinand répondait seulement à cette interrogation en niant être l'auteur du forfait. La preuve de votre culpabilité sera établie et éclatante, poursuit M. Hamard. Je démontrerai nettement que c'est vous qui avez tué Elisa Vandamme. Ses amies vous ont vu partir avec elle; elles ont donné de vous un signalement qui correspond absolument au vôtre. Elles vous reconnaîtront. Mais Ferdinand continuait ses dénégations. Le chef de la Sûreté passa une grande partie de la nuit à le presser de questions. Quand il le quitta, il l'invita à dire la vérité et par conséquent à avouer son crime. Ferdinand s'y est enfin décidé, mais il fournit une version dont les détails sont révoqués en doute.
En effet, ce matin, de très bonne heure, l'assassin fit demander à M. Hamard de lui faire donner une tasse de café et des cigarettes. Le chef de la Sûreté accéda aussitôt à cette demande. Devant son café, Ferdinand déclara qu'il allait faire des aveux. M. Hamard prévint aussitôt M. Warrain, juge d'instruction, pour qu'il les entendît, et tous deux firent comparaître l'assassin devant eux. Tandis qu'on le conduisait au bureau de M. Hamard, Ferdinand dit aux quatre inspecteurs de police qui l'accompagnaient qu'il était décidé à raconter comment les choses s'étaient passées.
Dès qu'il fut en présence de MM. Warrain et Hamard: Je suis, dit-il. l'assassin d'Elisa Vandamme. Voici comment cela m'est arrivé. Dans la nuit du 27 février, vers deux heures, je fus abordé par Elisa Vandamme. Elle consentit à me suivre, et je la conduisis chez moi, 40, rue des Marais. Il ajouta alors de longs détails que nous ne pouvons rapporter. Tout à coup je l'entendis me dire : J'étouffe, j'étouffe. Mais je ne jugeai pas cette plainte sérieuse; puis je m'endormis profondément. Deux heures après, je me réveillai au contact glacé du corps d'Elisa Vandamme qui était morte. Alors je me levai tout effrayé et je m'en allai. Je restai hors de chez moi jusqu'au soir.
A la vue du cadavre, je pensai que je devais aller raconter au commissaire de police l'accident qui était arrivé; mais je renonçai à cette idée, parce que je craignis qu'on ne me fit partir pour le bagne, d'où je m'étais échappé. Je décidai ensuite d'étendre le corps sur le tapis, de le couper en morceaux et de faire disparaître ceux-ci peu à peu. Je mis deux jours à le faire. Je jetai la tête rue Botzaris et les pieds à Pantin ; je répandis les autres parties du corps dans les égouts, dans le canal Saint-Martin et dans des coins de Paris que je ne reconnaîtrais pas.
M. Hamard lui fit remarquer que les choses avaient dû se passer différemment; mais Ferdinand a maintenu que c'est par accident qu'Elisa Vandamme a perdu la vie. Le chef de la Sûreté, qui est fixé sur ce point, n'insista pas davantage. Les interrogatoires de l'accusé vont être repris et on ne doute pas qu'il ne se décide à avouer qu'il a mis lui-même la victime à mort. L'accusé s'appelle Paul-Charles Ferdinand. Il est né a Paris le 18 janvier 1882 dans le 19e arrondissement et il est âgé de vingt-huit ans. Il est journalier et il travaillait assidûment.
Le Temps – 6 mai 1910
EN BREF
Les chaises volent à Angers - Angers, 5 Mai - Un grave incident a marqué, ce soir, la réunion de courses organisée sur le Mail par l'Auto-Véloce-Club; à la course ouverte de 40 kilomètres avec entraîneurs. Les spectateurs ayant cru, à tort ou à raison, que le coureur Miquel, de Paris, qui avait fourni une course merveilleuse, était second, et le voyant porté troisième sur le tableau d'affichage, conspuèrent le jury, aux cris mille fois répétés de : "Hou ! hou ! Vive Miquel ! " accompagnés de violents coups de sifflets. A un moment donné, un des protestataires ayant jeté sa chaise sur la piste, son exemple fut suivi par les occupants des tribunes et bientôt une nuée de chaises s'abattit. Il fallut l'intervention de la police pour calmer les manifestants, qui continuèrent cependant à huer les organisateurs. Le Petit Journal – 6 mai 1910
Découverte d'un obus — Des ouvriers travaillaient hier après-midi à la démolition d'un immeuble situé 39, rue de Miromesnïl, lorsqu'ils découvrirent, encastré dans le mur d'un cabinet de toilette, un obus conique de 12 centimètres de diamètre et de 35 centimètres de longueur, n'ayant pas explosé et provenant très probablement de la guerre de 1870. M. Rajaud, commissaire de police, informé, a prévenu aussitôt le laboratoire municipal, qui a procédé à l'enlèvement de l'engin avec les précautions usitées en pareil cas. Le Temps – 6 mai 1910