01 oct. 10
Les actualités du 1er octobre 1910
Tristes récoltes en Champagne
Reims, 28 septembre. Le spectacle qu'offre actuellement le vignoble champenois, si animé, si joyeux aux temps des vendanges abondantes, est d'une désolante tristesse. Depuis plusieurs jours, au lieu des longues théories de hordons qui se répandaient dans les vignes pour y cueillir les grappes serrées, on ne voit que quelques vignerons pliés sous le poids d'une implacable fatalité. On vendange cependant ! On cueille les raisins, — si l'on peut appeler ainsi des grains à demi dévorés par la cochylis, à demi desséchés par le mildew, — on les jette dans des caques et on les transporte au four où on les brûle pour que les œufs des insectes, germes de parasites, soient détruits et ne puissent compromettre la prochaine récolte.
La Champagne, qui à cette époque de l'année est peuplée de vendangeurs venus d'Alsace ou de Belgique, paraît déserte. Dans les villages, la misère est navrante. Depuis quatre ans les vignerons ont lutté pour conserver leurs vignes et ils n'ont pas recueilli pendant ces quatre années la valeur d'une récolte normale. Beaucoup sont irrémédiablement ruinés. On annonce que le 2 octobre prochain, se tiendra à Epernay un meeting où on demandera aux pouvoirs publics un secours de l'État et aussi une application plus rapide et plus complète de la loi de 1905 réprimant la fraude.
Aujourd'hui que la Champagne viticole est délimitée, les vignerons et les commerçants sont d'accord pour demander au gouvernement de prendre les mesures propres à rendre la délimitation efficace. Ces mesures sont les acquits de régie spéciaux et les locaux séparés, qui permettront de poursuivre les fraudeurs faisant du Champagne avec des vins du Midi. Le conseil général de la Marne a voté, au cours de sa dernière session, un emprunt de 800,000 fr. qui seront versés à la caisse régionale de crédit agricole. On demande au gouvernement, conformément à la loi, de quadrupler cette somme sur le fonds de 40 millions inscrit au budget pour secours en cas de calamité agricole. Les caisses locales modifieraient leurs statuts pour permettre aux vignerons d'emprunter à trois ans sur ce fonds.
Mais la caisse régionale, malgré son grand désir d'apporter une aide aux vignerons, soulève certaines objections qui lui sont dictées par la loi. Elle ne doit pas, en effet, prêter sans garanties. Or les vignerons sont en général dans l'impossibilité de fournir les garanties exigées. Depuis quatre années de mauvaises récoltes, ils ne possèdent plus rien tous leurs biens sont hypothéqués et la garantie hypothécaire sur les vignes est sans valeur dans de-semblables conditions. La garantie du département n'est valable que pour le montant du crédit de 800,000 francs ; mais l'État, peut-il autoriser le département à affecter les deniers publics à une semblable destination?
Le syndicat du commerce des vins de Champagne s'est posé cette question, et dans sa dernière assemblée générale, il a admis les dispositions suivantes. Les maisons de Champagne achètent chaque année les raisins aux vignerons. Les mêmes maisons ont pour livreurs des vignerons qui sont toujours les mêmes. Dans ces conditions, il sera facile d'apporter une aide aux livreurs habituels. Les maisons seront engagées à cautionner auprès de la caisse régionale de crédit agricole les emprunts de leurs livreurs habituels. De cette façon ceux-ci pourront se procurer les fonds qui leur sont nécessaires pour donner à la vigne les soins dont elle a besoin.
Il ne restera plus alors que les vignerons qui n'ont pas d'acheteurs attitrés, ceux qui vendent leurs vendanges tantôt à l'une, tantôt à l'autre des maisons de Champagne. Pour ceux-là, qui ne peuvent être cautionnés par les maisons de commerce, le syndicat propose de prendre leur caution sur le fonds de 800,000 fr. que le département vient de voter. Ce sera la seule façon d'apporter une aide aux vignerons ; mais cela ne rendra pas d'un seul coup la prospérité à la Champagne. Il faut quarante millions dans les années de récolte normale. Depuis quatre ans la vigne n'a pas donné la moitié de cette somme aux vignerons, qui ont fait pour la soigner des frais aussi coûteux qu'en cas de récolte abondante. Toutes les économies ont été englouties dans ce désastre et les emprunts à la caisse de crédit agricole engageront l'avenir pour plus de quatre années !
Il faut espérer que les années sans récoltes ne se retrouveront pas de si tôt et qu'une ère d'abondance va enfin s'ouvrir après tant de désolation; sinon, en peu de temps, le vignoble champenois n'existerait plus qu'à l'état de souvenir.
Le Temps – 1er octobre 1910
EN BREF
Broyé par un train — M. Auguste-Antoine Grosjean, quarante-sept ans,
aubergiste et relayeur-marinier à Ménaucourt (Meuse), venait d'embarquer des
chevaux à la gare des marchandises de Châlons-sur-Marne. Il voulut ensuite, pour
aller rejoindre son fils qui l'attendait sur le quai des voyageurs, traverser
les voies au lieu de prendre par les galeries souterraines. Son pied
s'embarrassa dans un rail. Il ne put se dégager à temps pour éviter le train de
Reims, qui le saisit et le broya. Son fils, impuissant à le secourir, assistait
à ce spectacle. Le Temps – 1er octobre 1910