Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
CPA Scans
23 novembre 2010

Les actualité du 23 novembre 1910

octobre 1910 22 novembre 1910   novembre 1910   24 novembre 1910 décembre 1910

Tragique chasse au renard au Havre

Lynchage Dongé

Justice

Le fox hunting est un sport la mode et fort élégant. On le pratique en Angleterre. Dans des plaines vertes, des gentlemen en habits rouges galopent à la poursuite d'un renard forcé par les chiens; ils sautent les haies, les fossés, et le soir, dans quelque vieux manoir du comté, autour d'une tasse de thé bien chaude, ils content leurs prouesses de la journée.

Joli sujet pour gravures anglaises en couleur et pour puzzles. En France aussi depuis quelque temps on pratique le fox hunting. Mais cette fois, c'est moins gai: le renard, c'est l'homme on le pourchasse, on le frappe, on le tue. ''Chasse au renard'', le mot avait au début quelque chose de sportif, d'amusant, d'alerte il fit rire. Et c'est pourquoi tout d'abord on ne prit pas assez au sérieux cette épouvantable chose, stupide et lâche, le meurtre de l'homme seul par toute une foule, la curée du travailleur par des grévistes ses camarades d'hier.

La chasse au renard dont va s'occuper aujourd'hui même la Cour d'assises de la Seine-Inférieure est particulièrement dramatique et sauvage. Sept ouvriers charbonniers du Havre, Edouard Mathieu, François Couillandre, Charles Lefrançois, Adolphe Bauzin, Jules Durand, Ernest et Louis Boyer sont accusés d'avoir tué un homme, un ouvrier, Dongé. Son crime ? Il travaillait, pendant que les autres étaient en grève; alors on l'a tué, c'est bien simple. Comme le forgeron de François Coppée, il avait une femme, des enfants à nourrir, il voulait gagner son pain, pensant que la solidarité humaine doit commencer par s occuper des siens, des petits qui ont droit à la vie. Cela, en temps de grève, est un crime, alors on l'a tué.

Si les faits tels que les rapporte l'acte d'accusation sont exacts et nous le saurons à l'audience- ils dépasseraient en férocité tout ce qu'on peut imaginer. Il ne s'agirait point cette fois du crime absurde d'une foule surexcitée par la vue d'un ouvrier travaillant, mais d'un assassinat, d'un meurtre froidement voulu, prémédité, décidé, voté dans une réunion syndicale. La mort de Dongé serait une sorte d'exécution organisée dans cette nouvelle Sainte-Wehme.

Au Havre, au mois de septembre, les charbonniers du port étaient en grève. Dongé. avait fait comme les autres, et avait adhéré à cette grève. Mais le lendemain, il avait réfléchi, changé d'avis et repris son travail. Aussitôt, dans une réunion du syndicat, des camarades de la veille, les frères Boyer, prennent la parole: Dongé est un faux-frère. Il travaille, il trahit, il faut le corriger. Et l'on parle, on s'excite. Une correction, ce n'est point suffisant. On vote. Pour se mettre au-dessus des lois on s'érige en tribunal, et sur la proposition de l'ouvrier Durand on vote la mort de Dongé, la seule peine qu'il paraisse mériter. Et l'on nomme une' commission pour rechercher les renégats, les renards. On forme une meute, plus terrible que les blood hounds, des chiens de sang des équipages d'Angleterre. C'est décidé, on le tuera tous ensemble, en foule, en masse, et ainsi on ne pourra retrouver les coupables.

Le 9 septembre, Dongé avait travaillé sans relâche pendant deux jours et deux nuits; on travaille double en temps de grève. Ce jour-là, il se reposait. Mais la meute est sur sa piste, elle donne de la voix, Dongé est dans le quartier du quai d'Orléans. A huit heures et demie, il sort d'un café et se dirige vers le pont Vauban. Il voit des ombres derrière lui. C'est fait, la bête est lancée. Le malheureux se réfugie dans un autre café. Le patron croit avoir affaire à un ivrogne et l'expulse. La chasse recommence. L'ouvrier ne peut mettre en défaut ceux qui le poursuivent. Ils se rapprochent. Taïaut, taïaut C'est l'hallali courant.

On ne sonne pas du cor, mais on l'insulte, on lui crie en plein visage qu'il est un traître. Toute la meute alors, comme une vague immense, bondit. On se précipite sur Dongé, on le renverse, on le frappe à terre. Il se relève pourtant, ensanglanté, s'essuie la figure et s'enfuit vers le café Kuhn. Là, nouvelle attaque ''En as-tu assez ? En veux-tu encore?'' crie Mathieu qui le frappe pendant que Couillandre lui porte des coups de tête. Du sang chaud, de la chair, allons, faisons ripaille Et gorgeons-nous tout notre saoul.

Il faut en finir ''Jettons-le au bassin !'' s'écrie Mathieu. Mais des passants arrivent au secours du malheureux. Il est trop tard, pourtant, la curée est terminée. Le lendemain, Dongé mourut à l'hôpital. La chasse au renard était finie. L'affaire durera plusieurs audiences. De très nombreux témoins sont cités.

Le Figaro - 23 novembre 1910


EN BREF

Une barque portant 17 ouvriers coule à pic dans la Loire - sept noyés - Nantes, 22 novembre - Un terrible accident s'est produit, hier soir, à Basse-Indre, peu après la sortie des ouvriers des forges. Dix-sept ouvriers et ouvrières avaient pris place sur une toue pour traverser la Loire et regagner le petit village de Rocheballue, situé sur la rive gauche du fleuve, près d'Indret, quand, par suite du courant extrêmement violent, en raison de la crue du fleuve, l'embarcation alla se jeter sur la balise de l'île Mandine, située à une vingtaine de mètres du quai, et coula à pic. L'obscurité était complète mais si, de la rive, personne n'avait pu voir l'accident, les cris des naufragés eurent vite attiré l'attention des habitants de Basse-Indre qui, en grand nombre, accoururent sur le quai de deux embarcations et se portèrent au secours des victimes. Une des deux barques sauva sept ouvriers, l'autre trois. Malheureusement, six hommes et une jeune fille avaient disparu et les sauveteurs, après avoir soigneusement exploré cette partie du fleuve, durent regagner le quai et débarquer !es naufragés, qui reçurent des soins immédiats. Ces malheureux se sont débattus dans l'eau pendant vingt minutes. Du rivage, pendant qu'on armait les embarcations, on leur criait: ''Courage, Courtage Nous arrivons !!''. La jeune fille criait ''Mon père, sauve moi je me noie''. Son père, qui habite Rocheballue, sur la rive opposée, accourait en barque aux cris d'appel, ignorant que sa fille était parmi les naufragés. Une réponse erronée lui fit rebrousser chemin. Il croyait que le sinistre avait lieu à l'autre extrémité de Basse-Indre, et ceux qu'il interrogeait croyaient que c'était à Rocheballue. Le Petit Parisien – 23 novembre 1910


Publicité
Commentaires
Publicité
Archives
Publicité