Les actualité du 31 décembre 1910
Mort du lieutenant de Caumont
La mort a frappé hier pour la première fois dans la jeune troupe si vaillante de nos officiers aviateurs et pour première victime elle a choisi un de nos meilleurs pilotes, le lieutenant de Caumont. La perte est doublement douloureuse et nous fait vraiment payer, trop cher la gloire que la conquête de l'air nous a assurée cette années. Après le terrible accident d'Issy-les-Moulineaux, à peine reprenions-nous courage en voyant l'audace que nos aviateurs dépensaient pour répondre au défi des éléments encore insoumis.
La journée de jeudi avait été une journée d'efforts stériles a la conquête des records. La journée d'hier voyait la reprise du merveilleux combat et une nouvelle victoire, mais elle voyait aussi, dès ses premières heures, la chute mortelle du lieutenant de Caumont : elle ne sera pour nous qu'une journée de deuil.
Cette chute s'est produite a l'aérodrome de Buc. Le lieutenant pilotait un monoplan auquel il faisait subir un vol d'essai; l'appareil s'était parfaitement enlevé et filait à une hauteur de 80 à 100 mètres à une allure de 100 kilomètres à l'heure dans un vol d'une stabilité remarquable, lorsqu'il parut tout à coup en difficulté; on l'aperçut qui tanguait, roulait comme empoigné par des remous. Le lieutenant de Caumont se rendit-il compte de l'inutile danger qu'il y avait à poursuivre son vol et arrêta t-il son moteur: Mais on le vît alors se mettre en descente en un superbe vol plané.
A quelques mètres du sol, l'aviateur aperçut, devant lui, l'étang du Trou-Salé, et pour l'éviter il précipita sa descente. Sa manœuvre rapide fut mal calculée, sans doute, car l'atterrissage fut extrêmement brutal. La queue haute, le monoplan heurta, en pleine lancée, la terre, de son train avant, qui céda, freina, entraînant un violent capotage de l'aéroplane. On se porta au secours de l'officier qui restait étendu dans son appareil. Le lieutenant de Caumont n'avait pas perdu connaissance: il fit signe qu'il était blessé. On le dégagea des débris du monoplan il avait les deux jambes brisées, et se plaignait de douleurs dans le bassin.
En toute hâte, il fut placé sur une voiture d'ambulance et conduit à Versailles par les officiers de l'Ecole d'aviation et par le capitaine Etévé, le compagnon ordinaire de ses voyages aériens: Mais ses souffrances étaient si vives qu'on dut, devant l'Orangerie, le placer sur un brancard pour le transporter jusqu'à l'hôpital. Le médecin en chef, le docteur Cahier, jugea l'état du lieutenant désespéré et toute intervention chirurgicale inutile; le malheureux officier avait les deux jambes broyées, le tibia gauche avait été particulièrement brisé; enfin le bassin était fracturé.
Avec un courage héroïque, le lieutenant de Caumont supporta ses atroces souffrances; il garda sa lucidité d'esprit jusqu'à ce que la mort vînt à sept heures du soir lui apporter la délivrance. Il reçut les derniers sacrements des mains de l'abbé Deroin, aumônier de l'hôpital, en présence du comte Armand de Caumont, son frère, et de son oncle. Le colonel Hirschauer n'avait pas quitté son chevet et le général Roques était venu lui apporter en consolation suprême la nouvelle que le ministre de la guerre venait de le proposer pour la croix de la Légion d'honneur. Cette croix, si chèrement gagnée, sera placée sur la dépouillé mortelle du jeune officier.
Le lieutenant de Caumont était parmi les plus anciens si l'on peut dire de nos officiers aviateurs. Il n'attendit pas que l'aviation militaire fût organisée pour s'y adonner. Officier au 8e dragons, en garnison à Lunéville, le lieutenant Nompar de Caumont La Force profita de la proximité de l'école Sommer, à Douzy, pour se livrer à l'aviation; il acquit de ses propres deniers un biplan avec lequel il a précisément accompli le 7 août dernier, jour de départ du circuit de l'Est aux raids militaires duquel il participa, la remarquable randonnée que voici Mourmelon, Châlons; Saint- Dizier, Ligny-en-Barrois; Toul, Parville, Nancy. Le lendemain il effectuait Nancy-Lunéville et retour.
Deux jours après, il faisait une chute et cassait son appareil, et se trouvait ainsi empêché de collaborer par la suite comme il le voulait à la démonstration d'aviation militaire. Le 4 septembre, il fit un superbe vol de hauteur; participa comme aviateur aux grandes manœuvres de Picardie, et, lâchant, ces temps derniers, le biplan, acquit un monoplan, celui avec lequel il a trouvé la mort.
Le Figaro – 31 décembre 1910
EN BREF
Le record de distance (584 kilomètres) - Terrassé par le froid, l'aviateur Maurice Tabuteau avait dû, mercredi, à Buc, abandonner dans une tentative qu'il faisait pour reprendre à Legagneux le record du monde de la distance (516 kilomètres) et du coup la coupe Michelin et ses 20,000 francs. Jeudi, Tabuteau avait renouvelé sa tentative, mais une fois encore avait dû abandonner, arrêté au 412e kilomètre par le brouillard. Pour la troisième fois, Maurice Tabuteau a hier repris l'air; il a été par un splendide exploit récompensé de sa persistance et de son énergie. Il s'est adjugé le record de la distance. Il a d'un seul vol, commencé à 7 h. 45 du matin et chronométré par M. Gaudichard, chronométreur officiel, parcouru la formidable distance de 584 kilomètres. Il atterrit à 3 h. 30 de l'après-midi. Ce vol lui aurait permis d'atterrir près de Landerneau, à Royan, à Bordeaux, et de s'arrêter à quelques kilomètres de Valence, à 200 kilomètres de Londres, etc., etc...Si Legagneux à Pau ne fait mieux aujourd'hui, c'est à Tabuteau qu'irait la Coupe Michelin 1910. Le Figaro – 31 décembre 1910
Explosion d'une poudrerie - Gand, 30 Décembre. Un bâtiment de la poudrerie royale de Wetteren, petite ville à 11 kilomètres de Gand, a sauté, cet après-midi, à quatre, heures. La poudrerie, dirigée par M. de Coupper, fabrique des poudres de chasse, de guerre et de la dynamite. Comme la plupart des poudreries, celle-ci se compose d'une série de petites constructions légères, dans lesquelles se font les manipulations. Dans la partie des bâtiments où s'est produite l'explosion, neuf ouvriers travaillaient. Les hommes qui y travaillaient ont été projetés dans les airs. Des débris humains de tout genre ont été éparpillés aux alentours. On a trouvé un crâne à 800 mètres de distance. A en juger par les débris retrouvés, quatre hommes dont l'identité n'a pu être établie ont été littéralement déchiquetés. Au total, après les fouilles qui ont été terminées ce soir, huit ouvriers ont péri et un autre a été retrouvé blessé mortellement à la tête. Toutes les maisons environnant la poudrerie ont été en partie démolies. Une femme a été blessée grièvement. Le Parquet de Termonde est arrivé dans la soirée sur les lieux de la catastrophe. Le Petit Journal – 31 décembre 1910