Les actualités du 5 janvier 1911
La police londonienne donne l'assaut à un repaire d'anarchistes
Un drame sanglant s'est déroulé hier sur les confins de la Cité de Londres, en pleine ville, à peu de distance du Stock Exchange, de la Banque d'Angleterre et du London Hospital, dans le voisinage des grandes artères de Mile End et de Commercial Road. La police, forte d'un millier d'hommes, à cerné un repaire d'anarchistes recherchés pour l'assassinat de policemen au cours d'une affaire de cambriolage, et après avoir sollicité le concours de la troupe et de l'artillerie pour fusiller les bandits, a laissé la maison brûler, engloutissant les hommes dans la fournaise.
La tragédie de Sidney street est l'aboutissant de cette affaire d'Houndsditch, qui fit tant de bruit dans la seconde moitié de décembre. Dans la nuit du 16 décembre, des policemen appelés pour arrêter des cambrioleurs qui tentaient de percer le mur mitoyen d'une bijouterie, furent assaillis par les bandits qui prirent la fuite. Trois policemen furent tués et deux grièvement blessés. Le lendemain on retrouvait dans une maison du voisinage un homme mortellement blessé d'un coup de revolver dans le dos. L'enquête démontra qu'il appartenait à la bande des cambrioleurs et qu'il avait été blessé accidentellement par ses complices, ou volontairement assassiné par eux pour assurer son silence.
La police arrêta les personnes susceptibles de donner des renseignements sur le défunt. Elle interrogea notamment une Russe nommée Rose Selinsky, restée à son chevet. Rose Selinsky déclara que passant la soirée chez une amie dans la maison, elle avait entendu des inconnus monter à l'étage supérieur un fardeau pesant et s'enfuir précipitamment. Elle monta avec son amie par curiosité après le départ des inconnus, trouva l'homme ensanglanté et courut chercher un médecin. La police ne fut pas dupe de cette fable et pensa que Rose Selinsky connaissait très bien le mourant.
La perquisition faite dans la maison amena la découverte d'un grand nombre de papiers intéressants qui mirent les détectives sur des traces nouvelles. L'homme assassiné était en relations étroites avec des anarchistes russes. C'était donc de ce côté qu'il fallait chercher les complices. On se trouva ainsi amené à lancer un mandat d'amener contre trois suspects, les nommés Fritz, âgé de vingt-cinq ans, forgeron, Russe, Pierre le Peintre, âgé d'environ trente ans, probablement Russe, et Yourka, vingt et un ans, également Russe.
Des le 17 décembre au matin, toutes les gares de Londres étaient surveillées. Les coupables ne pouvaient demeurer cachés que dans l'East End. La police fit un grand cercle autour du quartier suspect et commença ses recherches. On avait mis pour cela sur pied tous les inspecteurs de Scotland Yard.
Le 28 décembre, dans Gold street, on trouva un véritable arsenal de bombes, de revolvers, et le propriétaire de l'immeuble reconnaissait dans la photographie de l'ami de Rose Selinsky celle d'un locataire de sa maison. Il révélait par la même occasion son vrai nom Mouromstef. Ce dangereux anarchiste avait pris les dehors d'un peintre amateur et on le voyait parfois à sa fenêtre maniant ostensiblement ses pinceaux. Le propriétaire n'avait pas prêté une attention particulière à son absence depuis le 16, car il partait assez souvent pour le continent où il faisait de petits séjours.
Mouromtsef, qui avait ainsi deux domiciles en plus du logis qu'il avait pris dans la maison mitoyenne du bijoutier d'Houndsditch. était l'âme de la bande. Les recherches faites sur ses visiteurs de Gold street confirmèrent les premiers soupçons touchant les nommées Fritz, Pierre le Peintre et Yourka. Une prime de 12,500 fr. fut offerte à qui le livrerait. Cette promesse semble avoir permis à la police de trouver leurs traces à Sidney street.
La police fut mise sur la trace des coupables par une femme. Il y a quelque temps, une jeune Anglaise de l'East End fut attirée dans une maison par deux étrangers et maltraitée. La jeune fille savait bien qui étaient les deux étrangers, elle les connaissait depuis quelque temps, mais pour différentes raisons, encore inexpliquées, elle ne prévint pas la police. Récemment, cependant, la jeune fille ayant de nouveau rencontré ses persécuteurs, alors qu'elle se trouvait accompagnée d'un de ses parents, celui-ci n'hésita pas à aller confier l'histoire à la police. Il révéla que les deux hommes en question n'étaient autres que Pierre le Peintre et Fritz, qu'ils vivaient en compagnie d'un autre anarchiste, nommé Rozes, dans une maison de Sidney street.
La police fit évacuer dans la nuit les habitants de la maison de Sidney street au troisième étage de laquelle les assassins étaient couchés, puis, à quatre heures du matin, les agents conduits par l'inspecteur Wensley se faufilèrent dans l'escalier, montèrent jusqu'à la chambre des bandits et se mirent en devoir de forcer la porte mais les forcenés étaient prêts et, quand la porte céda, ils firent feu. Un agent s'affaissa. Obéissant à un plan concerté, les agents se replièrent. Au même moment, la maison était cernée, rendant la fuite impossible. Les forcenés, restés seuls dans la maison, se barricadèrent et organisèrent la défense, leur apparition successive à toutes les fenêtres donnait l'impression qu'ils étaient six.
Jusqu'ici d'ailleurs on n'est pas encore exactement fixé sur le nombre des morts mais la fait qu'on n'avait dans le courant de l'après-midi retrouvé que deux cadavres confirmerait l'hypothèse que les deux seuls bandits étaient demeurés dans la maison. La police n'a fait aucune communication à la presse, mais les deux cadavres retrouvés sont carbonisés et si méconnaissables qu'il sera extrêmement difficile de prouver qu'ils sont bien ceux de Fritz et de Pierre le Peintre, recherchés pour l'affaire de Houndsditch: ils portent tous deux des blessures d'armes à feu, de telle sorte qu'il sera impossible de savoir s'ils se sont suicidés ou s'ils ont été tués par les assiégeants.
Parmi les ruses de guerre employées au cours de la bataille, figurait l'apparition d'un mannequin de policeman à une croisée, afin d'attirer le feu des forcenés pendant que les policiers, cachés dans quelque embrasure, ripostaient à coups de carabine. Le cordon de troupes et de police encerclait Sidney street sur un rayon très étendu comprenant Russel street, Oxford street, Wolsey street, Hankins street et Lindley street. Les troupes de la garde écossaise et les 700 policiers qui entouraient le pâté de maison furent nécessaires non seulement pour empêcher la fuite des assassins, mais aussi pour maintenir la foule. Toute la population semi orientale qui remplit le quartier de Whitechapel s'était ruée dans la direction de ce nouveau fort Chabrol.
Devant le London Hospital, où avaient été transportés l'agent blessé Leeson et trois ou quatre pompiers ou soldats, la foule se cramponnait aux grilles et refoulait jusqu'au côté opposé de la grande avenue de Mile End. Même encombrement dans toutes celles des rues latérales que la police n'avait pas déblayées. La plus curieuse était une sorte de ruelle, Hawkins street, entre deux rangées de ces maisons à un étage où se tassent par milliers les juifs de Whitechapel. Le bâtiment où se trouvait le fort occupait l'extrémité même de cette petite rue noire. Aussi les badauds étaient-ils massés depuis le matin à deux cents mètres de l'endroit où se tiraient les coups de fusil; c'était un mélange incroyable de tous les spécimens humains, depuis les purs Orientaux, Arméniens, Syriens ou Turcs, jusqu'à l'ouvrier anglais, mais physiquement dégénéré, des docks, sans compter les ouvriers juifs qui travaillent dans ces taudis à faire des boutonnières de pantalon. Tout cela loqueteux, misérable, énervé, s'amusant comme à la foire.
En contraste avec cette population peu anglaise et qui ne fait guère honneur à Londres, la tenue de la police et de la troupe était comme toujours parfaite. Les scots guards, que l'on avait embusqués aux fenêtres de la brasserie située derrière le fort, tiraient comme au stand. Les bobbies s'employaient avec leur calme ordinaire à assurer, au milieu de cette effervescence, le service d'ordre. On a beaucoup remarqué le courage personnel montré par M. Churchill qui s'est exposé plusieurs fois, notamment quand il s'est joint aux soldats et aux policemen chargés de pénétrer les premiers dans la maison incendiée.
Le Temps – 5 janvier 1911
EN BREF
Grève des mineurs en Belgique – Liège, 4 janvier - La grève générale des mineurs a été proclamée ce matin. Il y a douze mille grévistes dans le bassin. Cet après midi, à trois heures, un important groupe de grévistes parcourait les rues de Seraing, quand, rue Ferrer, ils se retournèrent vers les gendarmes qui les escortaient et tirèrent dans leur direction des coups de feu. Les gendarmes ripostèrent et plusieurs grévistes furent atteints par les balles. On a relevé cinq hommes et une femme blessés. La femme avait reçu une balle de revolver dans la tête. Le bourgmestre a pris un arrêté interdisant les rassemblements; il a mandé cinquante gendarmes à cheval. La garnison de Liège est consignée. Le Petit Parisien – 5 janvier 1911
Tremblement de terre en Asie mineure - Hier, tous les sismographes du continent étaient mis en mouvement entre onze heures et demie et minuit et demie, c'est à dire à peu près à la même heure si l'on tient compte de la concordance des heures et enregistraient un tremblement de terre qui, étant donné l'agitation excessive des appareils devait être excessivement violent. Des dépêches parvenues de Saint-Petersbourg et de Tachkent dans la soirée sont venues confirmer la violence du tremblement de terre et aussi mettre d'accord les différentes appréciations données à la localisation de son épicentre. La secousse sismique, dont l'intensité concorda avec celle des oscillations des sismographes s'est produite dans le Turkestan russe et plus particulièrement semble-t-il dans la partie orientale de cette contrée, c'est à dire dans la région montagneuse. À Tachkent, la capitale, le tremblement de terre a été fortement ressenti vers quatre heures du matin. A Vernyi, dans le district de Semiretchi, au pied des monts Thian-Chan, tous les bâtiments peu solides ont été détruits; ainsi que les poêles ; et, comme le thermomètre marque dix degrés au-dessous de zéro, le population souffre terriblement. Les communications avec Djurkend sont interrompues. A Aoulié-Ata et à Kopal, de très fortes secousses se produisant dans la direction de l'ouest à l'est ont été également ressenties et des crevasses se sont produites dans le sol. Partout de nombreuses tribus, terrifiées par le tremblement de terre, se sont dispersées à travers les steppes. II est probable que le phénomène s'est étendu à d'autres centres ; mais cette répercussion, localisée dans de vastes zones quasi désertiques, ne sera contrôlée que d'ici quelque temps. Le Figaro – 5 janvier 1911