Les actualités du 6 janvier 1911
La Vie et la Mort de Victor Regnard
Nous avons dit hier que l'état de Regnard ne laissait plus guère d'espoir. A dix heures, le malheureux comédien rendait le dernier soupir après une agonie douloureuse et sereine. Sur le lit de mort, où il repose, des mains amies ont déjà déposé des fleurs, et M. Fort, l'aimable directeur de l'hôpital Lariboisière, qui assista l'artiste dans ses derniers moments, fut le premier a déposer une gerbe.
Regnard était, pour employer l'expression habituelle, une physionomie bien parisienne. Né à Paris le 5 mars 1854, il débuta au petit théâtre de la Tour d'Auvergne, où sa verve et son entrain le firent vivement remarquer. Il fut engagé au théâtre de Cluny où il se fit applaudir longtemps dans le Lycée de jeunes filles de joyeuse mémoire. Puis il créa successivement: Trois femmes pour un mari, Une femme collante, Coquard et Bicoquet. Dans Les Petites Michu aux côtés de Mmes Alice Bonheur et Odette Dulac, il eut un succès retentissant.
Regnard, jovial, bon enfant, toujours souriant, ne comptait que des amis dans tous les milieux. Il s'était depuis longtemps consacré aux bonnes œuvres, entre autres, à la mutualité, et il était plus fier de la modeste médaille de la Mutualité dont il portait le ruban à la boutonnière, que de la distinction académique dont il était titulaire. On sait également qu'il était secrétaire de l'Association des artistes dramatiques et organisateur des -matinées de Pont-aux-Dames
Les anecdotes sont nombreuses qui montrent l'extrême simplicité et la modestie de Regnard. Une d'elles se rapporte au temps déjà lointain où l'artiste entrait à Cluny pour créer Trois femmes pour un mari. Il avait d'abord refusé le rôle craignant de s'en mal acquitter. Si j'allais mettre la pièce par terre. Un pareil rôle ! J'ai peur de n'être pas de taille. disait-il à l'auteur, M. Grenet-Dancourt. Et il avait fallu que M. Grenet-Dancourt le rassurât et lui imposât cette création qui devait le faire connaître dans Paris et qui fut, d'ailleurs, la plus belle de sa carrière. Regnard joua Trois femmes pour un mari 525 fois de suite aux applaudissements de tout Paris.
Des ce matin, le corps du malheureux artiste a été transporté dans la salle d'école des infirmières, transformée en chapelle ardente. Durant toute la journée, les très nombreux amis de Regnard ont défilé devant le lit où il repose et sont venus rendre un dernier hommage à leur vieux camarade. Le fils du défunt est venu ce matin à L'hôpital. Le comité de l'Association des Artistes a décidé de prendre à sa charge les frais des obsèques dont la date n'est pas encore définitivement arrêtée. Il est probable que l'inhumation aura lieu à Pont-aux-Dames le comité désirerait, en effet, que Regnard reposât auprès de Coquelin qu'il aida avec tant de zèle et de dévouement pour faire aboutir, la création de la Maison des artistes.
La Presse – 6 janvier 1911
EN BREF
Une ville engloutie - Saint-Pétersbourg, 5 janvier - La secousse sismique de l'avant-dernière nuit a été terrible dans l'Asie centrale. Selon les dernières nouvelles qu'il est impossible cependant de contrôler, vu la rupture des communications télégraphiques, la ville de Prejvalsk a été entièrement engloutie sous terre et un grand lac s'est formé à sa place. On ignore ce que sont devenus les habitants. La ville de Pishpek, qui comptait 6,000 habitants, a été complètement détruite. D'après les journaux, le tremblement de terre du Turkestan dépasse en violence ceux des siècles passés et l'on s'explique, maintenant, l'intensité des oscillations signalées hier par les observatoires du monde entier. A Taschkend même, qui est la capitale du Turkestan russe grande cité de 200,000 âmes les dégâts sont considérables. Le nombre des victimes, civiles ou militaires, est élevé. Beaucoup de maisons se sont écroulées et des milliers de gens sont sans abri. Tous les appareils sismographiques de l'observatoire de Pouikof, près de Saint-Pétersbourg, ont été faussés par la violence du tremblement de terre. Le Petit Parisien - 6 janvier 1911
Les grèves en Belgique: Sanglante collision entre mineurs et gendarmes - Voici quelques détails sur les incidents qui se sont produits, dans le bassin de Liège, où la grève générale des mineurs a été proclamée hier. Quelques jours avant le nouvel an, des grèves partielles se déclaraient dans les charbonnages de la province de Liège, motivées, la plupart, par l'application du nouveau règlement minier. Mardi soir, la grève générale était votée et on comptait environ 8 000 grévistes. Dans tout le bassin l'effervescence est grande et les incidents se multiplient. Hier encore, une collision s'est produite, mais cette fois avec les gendarmes, et le sang a coulé. Un cortège de grévistes venant de Flemalle, se rendait à la Maison du Peuple de Seraing, où un referendum était organisé sur la question de la reprise du travail, lorsqu'à Seraing, il rencontra des gendarmes à cheval. Accablés d'injures, ceux-ci voulurent arrêter quelques manifestants, il furent accueillis par une grêle de pierres et plusieurs coups de feu. Le commandant des gendarmes fit alors les sommations d'usage mais comme les grévistes refusaient de se disperser, et qu'un gendarme venait d'être atteint au bras, l'ordre de tirer fut donné. Il se produisit à ce moment une panique épouvantable. On releva cinq blessés. Parmi eux se trouvent un gendarme atteint au bras, deux grévistes blesses aux jambes, un jeune homme au pied et une vieille femme qui passait au moment de la bagarre et qui, atteinte d'une balle dans la tête, est dans un état désespéré. Si une détente ne survient pas à bref délai, de terribles éventualités sont à redouter. Des troupes de la garnison de Liège sont prêtes à partir pour Seraing. La Croix – 6 janvier 19100