Les actualités du 14 janvier 1911
Le reliquaire de Soudeilles
Un reliquaire d'une valeur artistique indiscutable et d'une authenticité certaine a disparu à Soudeilles, petite commune de la Corrèze. Bien qu'il fût classé comme objet historique et ne pût être, à ce titre, aliéné sans l'autorisation du ministre des beaux-arts, la municipalité l'a-t-elle vendu à un antiquaire, ou ce reliquaire ayant été volé, n'a-t-elle vendu qu'une copie qui lui aurait artificieusement été substituée on ne sait par qui, comme elle le prétend? Ou bien encore, cette substitution suivie d'une vente fictive n'aurait-elle eu pour but que de masquer la vraie vente ? Autant de points qu'un juge d'instruction a été chargé d'éclaircir.
En tout cas, un fait reste acquis c'est que l'aliénation, sous quelque forme qu'elle se soit produite, n'a pas eu l'assentiment du ministère des beaux-arts. La loi de 1887 a donc été violée. Cette loi prévoit des sanctions, en dehors de celles qui sont d'ordre purement administratif, et permet d'atteindre la municipalité responsable. Est-ce illusoire d'espérer qu'elles seront appliquées ? Nous verrons.
En attendant, il est impossible de ne pas remarquer le peu de sécurité qu'offre la garde par les municipalités rurales surtout des trésors artistiques qui donnent à tant d'églises, même des plus humbles villages, un si puissant attrait. Non seulement ces trésors sont là moins que partout ailleurs à l'abri des voleurs, mais la cupidité barbare des gardiens eux-mêmes peut être tentée d'en tirer parti, au mépris des intérêts les plus évidents de l'art que la loi de 1887 a entendu sauvegarder.
Comment parer à ce double danger ? Le transport de ces objets précieux dans les musées départementaux ou nationaux prête à des objections qui ne sont pas négligeables. Ces œuvres d'art sont le plus souvent en même temps entourées, pour des raisons de sentiment purement religieux, de la vénération des fidèles. Ceux-ci considéreraient comme une sorte d'entreprise sacrilège leur ''laïcisation''. D'autre part, la présence de ces objets dans des édifices du culte qui sont eux-mêmes presque toujours d'admirables monuments d'architecture ancienne double la valeur de ces édifices aux yeux des touristes à la recherche d'émotions artistiques.
Transporter ailleurs ces joyaux, ce serait, en quelque sorte, les enlever à leur cadre naturel et réduire, au détriment des populations profanes elles-mêmes, l'intérêt des excursions dont leur petit village peut être le but. La question ne se présente donc pas sous un aspect très simple, et une solution pleinement satisfaisante n'est pas facile à trouver. Il faut tenter pourtant de résoudre le problème du mieux possible.
Renforcer les textes prohibitifs concernant l'aliénation des objets historiques faire peser sur les gardiens une responsabilité non seulement administrative et civile, mais pénale, qui les mettent en garde contre la négligence ou les tentations mauvaises, organiser un contrôle sévère et fréquent, de nature à inspirer de salutaires appréhensions, tels sont les moyens de préservation auxquels il semble qu'on puisse, pour l'instant, le plus utilement recourir. Un projet portant modification de la loi de 1887 sur divers points a été déposé. Qu'on ne tarde pas trop à le discuter, après l'avoir complété en ce sens.
Le Temps – 14 janvier 1911
EN BREF
Un cuisinier lacère la "Ronde de Nuit'' - Amsterdam, 13 janvier - Aujourd'hui, un ancien cuisinier, nommé Sigrist, âgé de vingt-huit ans, a donné un coup de couteau dans le célèbre tableau de Rembrandt la Ronde de Nuit, qui se trouve au musée de l'État. Il a été aussitôt arrêté. La détérioration du tableau consiste en une coupure assez profonde dans les genoux de la première figure principale du tableau et une large égratignure à la poitrine de la première et de la seconde figure principales. Sigrist a déclaré avoir agi par vengeance contre l'Etat. Ancien cuisinier à bord d'un navire de guerre, il n'avait pas été réengagé, après examen médical. Le Petit Parisien – 14 janvier 1911
Bataille mortelle entre romanichels - Deux roulottes de romanichels stationnaient avant-hier à Saint-Geours-de-Maremne (Landes). Elles étaient occupées par les familles Alexandre Soumaker et Jules Stay, acrobates ambulants. Soumaker avait épousé la sœur de Stay, qui l'a abandonné, il y a plusieurs années et cette circonstance fut l'occasion d'une dispute entre les deux hommes. Stay, exaspéré, tira à bout portant sur son beau-frère un coup de revolver. Atteint à la gorge, Soumaker tomba, frappé à mort. Ce fut le signal d'une bataille générale à laquelle les habitants de la localité n'osèrent pas s'opposer; et lorsque les gendarmes de Saint-Vincent-de-Tyrosse accoururent, il ne restait plus sur la place du village que des traces sanglantes. Les romanichels s'étaient enfuis vers Dax, emportant le cadavre de Soumaker; Les nomades, arrivés à Dax à quatre heures du matin, allèrent frapper à la porte de la gendarmerie et implorer du secours. La sœur de Soumaker, Claudine, âgée de seize ans, était mourante d'une balle de revolver dans la tête; son cousin Gustave avait reçu cinq coups de couteau, et Victorine Zepp, cinquante- huit ans, était zébrée de coups de sabre. Des mandats d'arrêt furent lancés contre Stay et ses associés, mais les retrouvera-t-on ? - Le Temps – 14 janvier 1911