Les actualités du 11 janvier 1908
Les autos à voile
Se rappelle-t-on la Maison à vapeur de Jules Verne et l'éléphant mécanique
qui la conduisait ? Cette ingénieuse machine pouvait gravir les côtes, franchir
les fossés sur la terre et flotter sur l'eau, tout en se dirigeant à merveille.
Les automobiles de New-York-Paris vont donner à ce rêve du maître une forme
moins hindoue et plus moderne. Elles rouleront sur la terre ferme, se traîneront
sur la neige, glisseront sur la glace. Elles présenteront, selon la nature de la
route, la figure ordinaire que vous connaissez bien, celle d'un traîneau ou
celle d'une barque à voile. Tel est, du moins, le type singulier qu'aménage, en
ce moment, la maison de Dion-Bouton, sur les indications du commissaire général
de New-York-Paris , M. Bourcier Saint-Chaffray.
La voiture qu'on va truquer ainsi, comme un accessoire du Chatelet, n'est vieille que d'un année ; mais elle a déjà une glorieuse histoire : elle remporta le prix du Critérium de la Presse. Ceci est d'un bon augure. Admirons en détail chacune de ses transformations. Dès qu'on quittera la terre dure pour rouler sur la glace, les pneumatiques seront enlevés aux roues motrices. On les remplacera par des bandages métalliques hérissés de forts rivets. Quant aux roues d'avant, on les enchâssera dans de longs patins.
Voilà pour l'Alaska et la Sibérie du Nord, où l'on ne trouvera guère que de la glace et de la neige agglomérée. Mais il faut compter sur la neige molle, dans laquelle les roues s'enfonceraient et tourneraient à vide comme dans de l'eau, ou dans du sable. Alors, ajustons à nos jantes des palettes, nous aurons deux roues à aube, et nous avancerons dans la couche blanche, tel le premier bateau de Fulton lui-même.; Mais votre auto va s'enliser, dira-t-on ! Pas du tout, car nous aurons eu le soin d'agrandir sa surface portante, et de répartir sur six mètres carrés ses deux mille kilos de charge. Il suffit de monter l'auto sur raquette comme un joueur de ski: une large claie d'osier tapissera le dessous de la voiture d'un' essieu à l'autre et l'empêchera d'enfoncer.
Nous arrivons au clou des transformations...Quand le vent soufflera .en poupe il serait bien sot de gaspiller de l'essence et de ne pas imiter la sage, parcimonie des marins. A l'avant du radiateur, on dressera un mat de bambou, auquel on attachera, en manière de voile, la tente de l'équipement. Et le petit navire voguera sur la mer blanche. Ah ! les dames tschoutskiss verront d'étranges choses !
Comme les rélais seront longs et que l'essence n'est pas une marchandise courante sous ces latitudes, il faudra se prémunir. La de Dion-Bouton possédera cinq réservoirs, qui, remplis, permettront de rouler pendant 3,500 kilomètres. Par excès de prudence, on attellera à la machine un petit traîneau qui portera une provision supplémentaire du précieux combustible, plus la tente et les provisions. Les quarante-chevaux du moteur auront raison de son poids; d'ailleurs, la glace graisse' admirablement les surfaces.
Un détail encore de cette auto mirifique, et qui nous montrera comment les soucis hygiéniques de l'organisation s'allient spirituellement aux soucis utilitaires. L'éclairage du bord sera électrique; Mais pour l'avoir cette belle lumière protectrice, il ne suffira pas, comme chez nous, de déranger une manette: il faudra tourner, sans perdre haleine, une manivelle actionnant une petite dynamo. Ainsi obligera-t-on les voyageurs à se défendre contre le froid et l'oxyder leurs muscles...
On aura alors ce spectacle plaisant : Par soixante-dix degrés de latitude et par moins trente de température, lorsque le convoi roulera dans l'obscure clarté du ciel septentrional, les camarades se priant, chacun leur tour, de moudre un peu de café. Et ce café-là les réchauffera, assurera leur route en même temps qu'il fera rêver sur leurs promontoires de glace, les blancs ours solitaires.
Le Matin – 11 janvier 1908
EN BREF
Une bombe éclate au Palais de Justice de Lyon - Lyon, 10 janvier. Une bombe a éclaté cet après-midi dans un escalier de service du palais de justice, qui accède au secrétariat du parquet. La détonation, très violente, fut entendue dans tout le palais et une panique, vite calmée, se produisit. On constata rapidement que l'engin était inoffensif et avait causé peu de dégâts : les vitres d'un ciel ouvert avaient été brisées et quelques peintures murales légèrement noircies. L'individu qui avait placé la bombe a été arrêté sur-le-champ par le brigadier des gardiens de la paix Mugnier. C'est un nommé Pierre Roget, ferblantier, né le 2 août 1853 à Chalon-sur-Saône, et demeurant à Lyon, rue de Sèze, 92. Devant MM. Salinon, substitut, et Lavrand, juge d'instruction, Roget a reconnu qu'il avait confectionné et allumé lui-même l'engin, composé d'une boite en carton remplie de poudre. C'est pour attirer l'attention sur lui qu'il a commis cet attentat : victime d'un accident du travail, il avait plaidé contre son patron, puis contre un voiturier, et avait perdu ses deux procès. Croyant que les magistrats lui en voulaient, il avait résolu de se venger. On l'a conduit à la prison Saint-Paul. Le Petit Parisien – 11 janvier 1908
Archange Saint Michel foudroyé - La tempête qui s'est déchaînée sur
les côtes normandes a fortement endommagé la statue de l'archange saint Michel
au Mont-Saint-Michel. On sait que cette statue, érigée le 6 août 1897 par les
soins de l'architecte Petitgrand, est l'œuvre du sculpteur Frémiet. Elle est en
cuivre laminé et repoussé : son poids est d'environ 800 kilos. Du chapiteau qui
la supporte à la pointe de l'épée, elle mesure quatre mètres de haut. On avait
placé derrière la statue un paratonnerre destiné à la protéger et qui ne l'a
nullement garantie. La statue a été très abîmée : le bras droit de l'archange,
qui brandit le glaive, est tordu et l'aile droite est brisée. Le Temps – 11
janvier 1908