Les actualité du 16 janvier 1908
Un incendie ravage les locaux du journal l'Argus
L'imprudence de deux gamins employés dans les bureaux de l'Argus de la
Presse, rue Drouot, a provoqué, hier soir, un formidable incendie qui, pendant
plus d'une heure, a produit la plus vive émotion. Et cet incendie s'est aggravé
d'une dramatique explosion qui a fait plusieurs blessés, dont un mortellement
atteint, jetant la panique parmi les très nombreux curieux amassés aux abords de
la maison sinistrée.
Il était cinq heures et demie lorsque l'alarme fut donnée. Le sinistre cri a ''Au feu ! Au feu !'' retentit dans la rue Drouot, tandis que des agents se précipitaient vers la borne placée à l'angle du boulevard des Italiens et appelaient les pompiers de la rue Blanche. Des gerbes de feu sortaient de l'appartement situé au troisième étage de l'immeuble faisant l'angle de la rue Grange-Batelière et de la rue Drouot. Une lueur tragique illuminait bientôt les deux rues et l'on percevait déjà le crépitement des flammes qui faisaient leur œuvre dévastatrice.
Cependant, une centaine de personnes affolées, se bousculant et poussant des cris de terreur, s'enfuyaient de l'immeuble: c'étaient les jeunes gens et les jeunes filles employés à l'Argus de la Presse, les ouvriers et les ouvrières, des commerçants dont les ateliers sont installés dans la maison, et des locataires des étages voisins. Le désarroi était à son comble.
Les premiers, et alors qu'un service d'ordre a été établi, les pompiers de la caserne de la rue Blanche et ceux de la rue Jean-Jacques-Rousseau arrivent en ''petit départ'', c'est-à-dire comme ils ont été insuffisamment renseignés sur l'importance du feu sans pompe et avec, simplement, une échelle et des tuyaux de raccord qui sont immédiatement branchés sur les prises d'eau. Mais cela exige une perte de temps qui permet au feu de prendre une extension d'autant plus grande et d'autant plus rapide que des quantités innombrables de journaux, de dossiers, de livres sont entassés dans les bureaux de l'Argus que garnissent des vieux meubles en bois très sec.
L'incendie fait rage c'est un spectacle des plus impressionnants, des plus angoissants que celui de ces larges flammes qui s'échappent en grondant des huit fenêtres dont les vitres ont volé en éclats, dont les boiseries ont été détruites, dont les appuis de fer ont été tordus. Et bientôt la façade des étages supérieurs est attaquée par une nappe de feu effrayante qui s'étend toujours, dévorant avidement tout ce qu'elle atteint, pareille à un monstre infernal. Les échelles de sauvetage ont pu être hissées.
Enfin le feu est attaqué. Hélas il faut en faire seulement la part, préserver les étages supérieurs en arrosant les plafonds et ceux du second en les inondant. Des trombes d'eau sont d'autre part dirigées sur le brasier qui ne tarde pas à s'éteindre. Maintenant ce sont des jets de vapeur et de fumée une fumée noire et épaisse qui sortent des fenêtres des bureaux incendiés. Peu après, les pompiers sont les maîtres de la place. Ils pénètrent dans les appartements de l'Argus et jettent au dehors toutes les coupures de journaux que le feu a épargnées. Et le spectacle est féérique de ces milliers de papillons blancs et noirs voltigeant dans la rue encore éclairée par les dernières lueurs de l'incendie agonisant.
A ce moment, une sourde explosion suivie d'un éclair très vif et de cris de douleur se fait entendre du côté de l'hôtel des Ventes. Que s'est-il passé ? Bombe. Attentat anarchiste. Ce sont les mots qui circulent parmi la foule prise d'une panique indescriptible. On prend la fuite éperdument, de crainte d'un nouvel attentat. Mais il y a des blessés, et des blessés effroyablement mutilés, les membres arrachés, la figure brûlée, les vêtements en lambeaux, couverts de sang qui s'échappe de plaies horribles.
Renseignements pris, il ne s'agit pas d'un attentat anarchiste, mais d'un douloureux accident, dont un reporter photographe du Journal, M. Levillain, a été la première victime. M. Levillain désirait prendre un cliché de la maison sinistrée. Il avait installé son appareil devant l'hôtel des Ventes et il allait faire partir son pétard de magnésium, quand, par suite d'un incident, sur la nature duquel on n'est pas encore fixé, toute la charge explosa en même temps qu'elle communiquait le feu à la réserve de magnésium dont le reporter photographe était muni.
On s'empresse auprès des blessés qui poussent des cris déchirants, et on les transporte dans les pharmacies voisines. Défilé tragique, vision d'horreur inoubliable. Un groupe passe, se dirigeant vers le boulevard; quatre hommes portent une masse noire, informe au-dessus de laquelle s'agite une main sanglante qui pend au bout d'un bras qu'on soutient c'est le photographe du Journal, M. Levillain. Un second groupe transporte un homme inanimé, le visage ensanglanté c'est l'aide du photographe, le jeune Blain, dont un éclat de verre a coupé une artère du cou, il a déjà perdu connaissance.
A la pharmacie de la place de l'Opéra-Comique, on donne aux blessés les premiers soins; le cas de Blain est des plus graves, et lorsqu'on le transporte à l'hôpital de la Charité, il est prêt à rendre le dernier soupir. M. Levillain est aussi dans un pitoyable état: il a la main profondément entaillée, presque arrachée, et les deux yeux brûlés; on a peu d'espoir de le sauver. Les autres victimes sont des curieux qui se sauvent terrorisés; deux d'entre eux sont soignés dans une pharmacie voisine ce sont M. Hippolyte Pitet, 46, rue de l' Arbre-Sec, et M. Joseph Cotat, 53, rue de Rambuteau, atteints tous deux au visage par des éclats de verre. L'agent Mercier, du deuxième arrondissement, a été également blessé à la main, ainsi qu'un de ses camarades, le numéro 329, qui refuse de se faire panser et continue son service en cachant sous sa pèlerine sa main ensanglantée.
Cette dramatique diversion n'a pas empêché les pompiers de continuer leur lutte opiniâtre contre l'incendie, et bientôt tout danger est écarté. Une rapide enquête est faite sur, place pour établir les causes du sinistre. Quelques points de détails sont tout d'abord fixés: l'heure et les circonstances du début de l'incendie. Le feu a pris dans la salle des bureaux de l'Argus où se font les découpures des feuilles quotidiennes. Un journal s'enflamma près de la salamandre et, par suite d'une imprudence, au lieu de l'éteindre, les jeunes gens et jeunes filles employés dans le bureau, au nombre d'une cinquantaine, s'enfuirent en criant ''Au feu !''
Pendant toute la soirée, foule considérable de curieux rue Drouot, où un service d'ordre et de surveillance était maintenu, alors que les pompiers noyaient les décombres.
Le Gaulois – 16 janvier 1908
EN BREF
L'ancien président victime d'un accident — M. Emile Loubet passait hier soir, vers cinq heures, dans la rue Bellechasse, quand le cocher arrêta brusquement son attelage devant un embarras de voitures. Au même instant, une grosse voiture de teinturier, qui suivait, vint heurter du timon l'arrière du coupé. Le choc fut peu violent, et le coupé à peine éraflé. Toutefois, pour dégager sa responsabilité vis-à-vis de sa compagnie, le cocher qui conduisait l'ancien président de la République prit le nom du voiturier. Après quoi les deux attelages reprirent leur marche. Le Temps – 16 janvier 1908
Horrible crime - Turin, 15 janvier — Un fait qui rappelle un des plus
terribles épisodes de la Terre, de Zola, s'est produit dans l'Ile de
Pantelleria. Les journaux de Trapani en donnent de longs détails. Un vieux
paysan du nom de Lorcillo a été enfermé dans le four de sa ferme et brûlé
lentement à petit feu. Ce sont la femme et les deux fils de l'infortuné paysan
qui ont accompli l'horrible forfait, après quoi, ils ont jeté les restes
calcinés à la mer, dans l'espoir que celle-ci aurait caché à jamais la preuve de
leur crime. Mais, malgré cela, tout fut découvert. Les trois assassins furent
arrêtés. La femme a tout avoué, sans cependant vouloir dire le motif qui l'avait
poussée à commettre un tel forfait. Le Matin – 16 janvier 1908