Les actualités du 9 octobre 1910
César Birotteau au Théâtre Antoine
M. Emile Fabre se complait décidément dans l'adaptation à la scène des chefs-d'oeuvre de Balzac. Les admirateurs de son vigoureux et sobre talent, l'un des premiers, à coup sûr, de notre époque, ont le droit de regretter qu'il ne veuille pas continuer la série de productions complètement originales où s'étaient affirmées la force et la souplesse de son invention dramatique. L'adaptation offre ce double inconvénient de ne contenter ni ceux qui connaissant le roman regrettent l'absence de certains épisodes que l'écrivain, dramatique a cru devoir négliger, ni ceux qui ne l'ayant pas lu suivent difficilement une intrigue présentée en raccourci et dont les développements ont été coupés.
Cette objection faite il faut reconnaître que M. Emile Fabre est passé maître en ce genre de travail. L'auteur de la Rabouilleuse nous présente cette fois un César Birotteau en chair et en os qui constitue la plus curieuse évocation du monde commercial de la Restauration. Nous parcourons grâce à lui, en cinq tableaux vivants et, colorés, l'histoire de la grandeur et de la décadence de César Birotteau, marchand parfumeur, adjoint au maire du deuxième arrondissement de Paris, chevalier de la Légion d'honneur, etc., etc...
Le premier tableau nous montre l'arrière-boutique de César Birotteau, patron de la parfumerie ''A la Reine des Roses'', où, malgré les supplications de sa femme, le négociant récemment décoré décide, à la veille de se lancer dans des spéculations de terrains, de bouleverser, ses magasins et son appartement pour donner un grand bal. Au second acte, nous sommes dans le somptueux cabinet de Birotteau le lendemain de ce fameux bal. Le négociant est surpris en pleine joie vaniteuse par la terrible nouvelle de la déconfiture et de la fuite de son notaire Roguin. Puis, c'est la débâcle, la faillite, ses efforts courageux pour le paiement des dettes, enfin la réhabilitation qui comble l'honnête Birotteau d'une joie si intense qu'il en meurt.
Deux tableaux surtout ont porté. Celui du dépôt du bilan joué par Gémier en grand tragédien. Celui de la mort de Birotteau après la réhabilitation. Sauf quelques exagérations de geste, Gémier est parfait dans ce rôle, et à côté de lui Lluis a remporté le plus, vif succès dans le rôle d'Anselme Popinot qu'il joue à la Féraudy. Janvier a fait du vieux père Pillerault une création d'une justesse remarquable. Rouyer en du Tillet est peut-être plus muscadin que banquier. Clasis est excellent dans le caissier Rabourdin. Méret personnifie à merveille le petit père Ragon. Dumont, Saillard, Céalis sont bien dans la peau de leur rôle, Marchal tourne trop en caricature le terrible Gobseck.
Mme Archainbaud est une aimable Mme Birotteau ; elle a joué avec émotion la scène avec du Tillet, que M. Emile Fabre a heureusement emprunté au personnage de La baronne Hulot. Mlle Jeanne Fusier est une gracieuse Césarine, Mme Eugénie Noris une Mme Madou très forte en gueule. Les costumes sont exacts ainsi que la figuration. La pièce, avec tous ses chiffres, est d'une allure un peu sévère, mats cette évocation réaliste d'une famille de commerçants chrétiens et scrupuleux, au début du siècle dernier, offre un réel intérêt et je crois à un succès aussi vif que durable.
La Presse – 9 octobre 1910
EN BREF
Au Nouveau Cirque - Les Joies de l'Escadron - Le Nouveau Cirque a donné hier soir, avec un plein succès, devant une salle des plus élégantes, la première représentation d'une fantaisie comique et nautique, les Joies de l'Escadron, qui tient largement les promesses de son titre. Il est difficile, en effet, d'imaginer rien de plus divertissant. L'anecdote nous transporte dans un quartier de cavalerie et nous fait assister aux multiples péripéties de la vie militaire ; citons entre autres : les corvées, la manœuvre, la cantine, la visite du major, l'arrivée des réservistes, la leçon d'équitation, etc..., autant de clous qui ont soulevé des tempêtes d'un rire vraiment inextinguible. Les Joies de l'Escadron, très bien interprétées par des artistes tels que MM. Liesse, Chauveau, Lecourt, comportent plusieurs ballets exquis, réglés par Fouilloux et dansés par de ravissantes ballerines délicieusement costumées. Des défilés de cavalerie pour lesquels a été spécialement engagé tout un essaim de gracieuses écuyères ont soulevé les acclamations du public enthousiasmé. Dans les deux premières parties du programme que M. Debray a choisi, comme d'habitude avec un goût, averti, on a plus particulièrement applaudi Mlle de la Tour et son Chasseur, gymnastes mondains : les sœurs Stars, équilibristes ; les chiens dressés d'Etoced; les Roeder, barristes fixés ; M. Laszewski, présentant avec son talent accoutumé, un cheval en liberté ; les senoritas Blanca, dans leur tourbillon aérien ; M. Mennret, dans son travail de la toupie humaine si émotionnant ; miss Dorcy, maintenant rétablie, qui présente, avec une audace et un sang-froid extraordinaires, sa meute de lions et de lionnes ; puis, la troupe sans pareille des clowns aux facéties hilarantes, les frères Albano en tête, avec Dekocq, Adolphe, Champagne, Détry, Pierron, Guillon, etc.. Ce spectacle plaira certainement aux enfants, comme aux. grandes personnes. Le triomphe qu'il a remporté hier soir en est un sûr garant. La Presse – 9 octobre 1910
La doyenne des palissades de Paris - C'était en 1905... Un matin, quatre ouvriers charpentiers, convoyant une charrette, s'arrêtèrent à l'angle de la rue des Petits-Champs et de l'avenue de l'Opéra. Après avoir, sur le trottoir, établi de solides étais, autour d'un regard d'égout, ils construisirent une palissade de madriers résistants. Dans les planches épaisses était réservée une porte, dont les lourdes ferrures sont aujourd'hui écaillées de rouille ; car cette porte, depuis cinq ans, ne fut jamais ouverte. Il est, hélas ! évident que ces travaux de charpentage n'eurent et n'auront jamais aucune utilité... Cependant l'enceinte qu'ils forment protège un dépotoir d'où s'exhalent de pestilentiels relents. C'est là que les promeneurs jettent leurs vieux papiers, les ménagères leurs ordures, et les commerçants leurs détritus. Ce bel ouvrage d'art restera comme échantillon... et souvenir. Le Matin - 9 octobre 1910