Les actualités du 27 octobre 1910
Encore une victime de l'aviation !
Le martyrologe de l'aviation compte depuis cet après-midi un nom de plus et, cette fois, c'est à Paris — à Issy-les-Moulineaux — que la terrible faucheuse a fait une nouvelle victime. C'est le premier accident mortel que nous avons à enregistrer au champ d'Issy, berceau des Champions de l'air. L'aviateur Blanchard - tel est le nom de la victime — a trouvé la mort au moment même où il achevait son magnifique voyage Bourges-Paris, retour du meeting d'aviation, du Centre, où il avait accompli de remarquables performances.
Blanchard était âgé de 25 ans et marié depuis peu. Il s'était passionné pour l'aviation, et dès ses débuts se révéla pilote très adroit. Le meeting de Bourges fut la première manifestation importante à laquelle il participa et pour prouver ses belles qualités il avait tenu à accompagner à leur retour à Paris par la voie aérienne ses camarades Bielovuccic et Brégi. On trouvera ci-dessous les détails du voyage et de l'accident qui a coûté la vie au pauvre Blanchard.
A peine dix minutes après l'arrivée de Brégi, un point noir apparaissait à l'horizon et bientot nous distinguions un monoplan. A une vitesse remarquable, l'oiseau artificiel arriva sur nous et fit un demi-cercle pour venir atterrir au milieu du terrain. A cinquante mètres de hauteur environ, il commença une gracieuse et impressionnante descente en vol plané pendant que près de nous sa jeune femme applaudissait.
Tout à coup, au moment où l'appareil ne se trouvait plus qu'à cinq mètres du sol, l'avant se redressa brusquement, la queue battit le terrain et un capotage terrible se produisit. On se précipita au secours de Blanchard. Le malheureux gisait inanimé sous les débris. Le moteur lui avait complètement écrasé la poitrine et c'est avec d'infinies précautions qu'on transporta l'aviateur aux hangars des dirigeables.
Il est impossible de décrire la poignante émotion dont fut prise la jeune femme qui ne voulut pas s'éloigner de l'appareil. Pour lui apprendre avec plus de ménagements le malheur qui la frappait, on parvint à lui faire croire qu'il ne s'agissait pas de son mari, qui s'était arrêté en route mais d'un autre aviateur, dont on ne voulait pas lui laisser voir le corps, pour ne pas l'impressionner. Le médecin appelé en hâte ne put que constater le décès. D'ailleurs, le docteur Paul Gardi s'était déjà empressé de tenter de prodiguer des soins bien inutiles. La poitrine était complètement défoncée, la base du crâne écrasée; la cuisse gauche brisée, la jambe droite cassée en trois endroits, l'épaule fracturée et la colonne vertébrale cassée en plusieurs endroits.
Nous nous sommes livré à plusieurs enquêtes d'après lesquelles plusieurs versions ont été émises. L'accident, nous dit un aviateur aurait été causé par la rupture d'une pièce de commande du stabilisateur arrière où l'on remarque une cassure très nette. Tous les assistants ont pu le constater, le pilote arrivait à une très vive allure et n'avait pas coupé l'allumage assez tôt pour atterrir sans risquer un, choc violent. Il s'en aperçut et voulut sans doute remonter brusquement pour reprendre un vol plané plus élevé. Ce mouvement trop rapide occasionna sans doute une pression à l'appareil et un des ailerons eut à ce moment une commande brisée.
La Presse– 27 octobre 1910
EN BREF
Chute mortelle d'un aviateur allemand - Un officier aviateur allemand, le lieutenant Mente, s'est tué hier sur l'aérodrome de Magdebourg où sont actuellement organisées des exhibitions d'aviation. Au cours de l'après-midi, l'officier avait effectué plusieurs vols réussis. Il prit à nouveau le départ, s'éleva aisément et en peu de temps atteignit une assez grande hauteur. Voulant atterrir, il coupa l'allumage, le moteur cessa d'entraîner l'appareil et l'aviateur commença en vol plané sa descente. Estimant sans doute sa chute trop rapide le pilote remit en marche son moteur, probablement pour reprendre un peu de hauteur, mais à ce moment précis le biplan de l'officier fit une brusque embardée, et son équilibre étant détruit, s'abattit sur le sol d'une hauteur d'environ 20 mètres. La mort du malheureux pilote fut instantanée et les premiers secours permirent de constater qu'il avait la poitrine défoncée et la colonne vertébrale brisée. Le lieutenant Mente, officier du génie, était âgé de quarante et un ans. Il participa à la campagne de Chine, et c'est depuis quelques mois seulement qu'il s'était adonné à l'aviation. Élève de l'aviateur allemand Keidel, il avait obtenu son brevet de pilote le 16 septembre dernier. Le Temps – 27 octobre 1910
Un sphérique tombe en mer - Un ballon allemand, parti samedi soir de Berlin et se dirigeant vers l'Angleterre, est tombé à la mer dimanche matin, sur les côtes de la Hollande, non loin de Zandvoort. S'apercevant de la proximité de la mer, les passagers avaient essayé d'atterrir dans les dunes, mais la force du vent ne le leur a pas permis. Un vapeur qui se trouvait dans le voisinage s'est hâté de leur porter secours. Les trois passagers, dont l'un avait perdu connaissance ont pu être sauvés; le ballon lui-même a été recueilli à bord. Le Temps – 27 octobre 1910
Le poids des bulletins - Il vient de se produire, à Athènes, un fait qui est, croyons-nous, sans précédent dans les annales parlementaires d'aucun pays. M. Vénizelos, le premier ministre, ayant posé la question de confiance, obtint 208 voix, c'est-à-dire la majorité. Tout autre chef de gouvernement se serait montré enchanté de ce vote. Mais M. Vénizelos, plus exigeant, ne se contente pas de compter les suffrages il entend en outre les peser. La quantité ne lui suffit pas; il lui faut la qualité. Parmi ces députés qui se sont prononcés en sa faveur, un certain nombre, prétend-il, ont agi de la sorte par peur, par complaisance, ou pour obéir aux recommandations de leur chef. Leur vote est, par cela même, dépourvu de toute valeur. Vienne la première occasion favorable, et ils s'empresseront de renverser le ministère. C'est à celui-ci à prendre les devants. Dans une conférence avec le souverain, M. Vénizelos a donc procédé à une révision minutieuse du dernier scrutin parlementaire. Il a pris les députés un par un; il a soigneusement scruté les mobiles dont ils avaient pu s'inspirer. Ce délicat examen lui a donné l'assurance que sur les 208, 157 seulement devaient être considérés comme les défenseurs, sans restriction ni réserve, du cabinet. La majorité apparente se transformait ainsi en minorité; c'est pourquoi M. Vénizelos a obtenu du Roi la dissolution de la Chambre. Et la morale de tout cela, c'est que lorsqu'on est député grec il ne suffit pas de bien voter; il faut encore aimer sincèrement le ministère pour qui l'on vote. Le Figaro – 27 octobre 1910