Les actualité du 19 novembre 1910
Claudine au Moulin-Rouge
Les ailes du Moulin tournent au vent du succès. Claudine, fille de Willy et pupille de Rodolphe Berger, vient d'y entrer en reine, aux sons d'une musique ensorceleuse, aux applaudissements d'une foule conquise, En trois actes pétillants d'esprit, on nous montre d'abord la distribution des prix au pensionnat idéal de Montigny, sous la présidence désopilante d'un délégué ministériel improvisé, devant un auditoire de gobettes aux courtes jupes, aux longs cheveux, aux effrontées boutades, la plus délicieuse Claudine qui, en trois mots, deux œillades, — oh ! bien candides - envoûte Renaud, personnage officiel mais combustible. Puis, c'est Claudine, amoureuse, grande petite fille aux boucles folles, à la fois heureuse de se sentir à Paris, plus près du Renaud de son rêve, et malheureuse de se croire incomprise dans sa grande, passion muette.
Une valse adorable nous chante les tristesses secrètes de la gamine jalouse et le rideau tombe après s'être fait relever quatre et cinq fois. Comme tout doit s'arranger, l'Abbaye, de Thélème, ses tziganes, ses danses de négresses, ses fleurs ses soupeuses, ses lumières, nous offrent le cadre d'un dénouement optimiste. Le pauvre Maria — amoureux repoussé par Claudine — noie son chagrin dans le Champagne, Claudine tombe enfin, pâmée, dans les bras de Renaud, sous la bénédiction de son père, savant qui fait la bombe, et de sa petite amie Luce, prompte à se sacrifier, comme toujours, pour sa gobette chérie et pour le succès des auteurs.
Heureux auteurs, qui peuvent s'offrir outre le luxe d'un orchestre assoupli et dirigé par l'incomparable, maestro Paul Letombe — une interprétation comme celle-ci: Claudius, inénarrable Maria; Madeleine Guitty, paysanne du meilleur cru ; Yvonne Yma, Luce irrésistible de joliesse et de charme ; Colas, le plus beau des Renaud ; Régnard, de bonhomie imperturbable et réjouissante ; Marise Fairy, enfin, qui incarne Claudine avec tant de vérité, qui chante la prenante musique de Rodolphe Berger avec tant de goût et d'expression sincère qu'on ne soupçonne pas qu'il puisse y avoir d'autre Claudine, née à Montigny, mariée à Paris et fêtée au Moulin-Rouge !
Et je vous prie de croire, à en juger par les acclamations qui ont salué la Valse des Regrets, la déclaration de Maria-Claudius, toute la partition, que la fête durera de longs mois, car Claudine est un franc et véritable succès.
La Presse - 19 novembre 1910
EN BREF
Un prêtre fou trouble l'office a Saint-Pierre de Rome - Turin, 18 novembre — Aujourd'hui, dans l'église de Saint-Pierre de Rome, pendant qu'un office solennel était célébré, un prêtre, devenu subitement fou, suscita un grand scandale en criant : Arrêtez ! Arrêtez ! Ce fut lui que l'on arrêta, après une longue lutte. Il s'agit d'un prêtre australien, nommé Daly, qui est devenu fou furieux tout à coup ; il a été conduit dans une maison de santé. Le Matin – 19 novembre 1910
Mort du peintre La Farge - On annonce la mort à Providence (Etats-Unis) du peintre John La Farge, un des artistes les plus brillants qui aient inauguré en Amérique le mouvement d'art moderne. Fils d'un officier de marine français qui avait épousé en secondes noces une Américaine, miss Margaret Perry, arrière-petite-fille de Benjamin Franklin, il fit son éducation aux Etats-Unis et adopta la nationalité américaine. Grand voyageur, il visita fréquemment le Japon, Samoa, les îles Taïti, rapportant chaque fois de ses excursions des observations d'une note très personnelle et d'un sentiment pénétrant, qui lui procurèrent très vite la grande notoriété. Ses Lettres du Japon, entre autres, obtinrent un succès des plus vifs, et les dessins, les aquarelles qu'il exposa au retour de chacun de ses voyages ne furent pas moins goûtés ; mais sa réputation lui vint surtout des grandes décorations qu'il exécuta pour des monuments publics, et en particulier pour l'église de la Trinité, à Boston. Il fit revivre également l'art du vitrail, et ses travaux dans cet ordre d'idées firent école. Passionnément attaché à la France, en dépit de la préférence qu'il avait donnée à l'Amérique sur elle, il fut un des plus ardents champions de la peinture française aux Etats-Unis. Si nos maîtres de l'école de 1830, et tout spécialement Millot, sont si hautement appréciés aujourd'hui par les grands amateurs d'outre-mer, c'est à John La Farge, eux-aussi, qu'ils , le doivent. Nos impressionnistes ne lui doivent pas moins ; lié d'amitié avec Rodin, Raffaëlli, Claude Monet, il contribua plus que personne à répandre leurs œuvres dans la société cultivée. La Société nationale des beaux-arts, où il comptait bon nombre d'amis, le fit connaître en 1895 des Français, en organisant une exposition d'ensemble d'un certain nombre de ses œuvres. Il était officier de la Légion d'honneur. Le Temps – 19 novembre 1910
Chute mortelle d'un aviateur américain - Un câblogramme de Denver annonce que l'aviateur américain Ralph Johnstone a fait hier au cours d'une exhibition une chute d'une hauteur d'environ 240 mètres. La mort a été presque immédiate. Ralph Johnstone était un pilote d'une hardiesse touchant a la témérité. Les descentes en vol plané qu'il affectionnait lui avalent valu sa célébrité en Amérique ; c'est en effectuant un exercice de ce genro qu'il s'est tué. Johnstone avait il y a quinze jours, au cours du meeting d'aviation de Belmont-Park, atteint la hauteur de 2,960 mètres, performance qui, si elle était homologuée, constituerait le record du monde de hauteur, actuellement on possession de l'aviateur hollandais Wynmalen, qui l'établit le 1er octobre dernier, au camp de Châlons. par 2,780 mètres. Le Temps – 19 novembre 1910