Les actualité du 2 décembre 1910
La candidature de Mme Curie à l'Institut soulève une tempête
Jamais on ne vit semblable agitation à l'Institut. En ce temple de la sagesse et de la sereine philosophie, si calme, si tranquille d'ordinaire, on discute depuis quelques jours avec véhémence, voire avec acrimonie. La cause de tout ce tumulte: la candidature de Mme Curie à l'Académie des
sciences Non pas que la personnalité même de la célèbre chimiste fasse l'objet du débat; tous à l'Institut s'inclinent devant son caractère et devant son savoir, mais c'est le principe de la candidature féminine que d'aucuns et ils sont le nombre au risque d'être taxés de lèse-galanterie combattent ardemment, tandis que d'autres, appartenant presque tous à la compagnie intéressée, s'en font les champions et les défenseurs.
Quand la nouvelle fut confirmée que Mme Curie posait sa candidature à l'Académie des sciences, les quatre autres sections s'émurent. La compagnie intéressée, faisant comme elles partie d'un tout qui s'appelle l'Institut de France, ne pouvait à leur sens laisser s'introduire cette innovation, ce précédent, sans les avoir consultées. Par contre, certains membres de l'Académie des sciences et non des moindres laissaient entendre qu'ils n'envisageaient nullement la question sous ce jour. Notre compagnie, déclarent-ils, a son autonomie, son budget qui lui est propre, et nous sommes libres de nos choix.
C'est grossièrement méconnaître les décrets organiques qui ont présidé à notre formation ripostent les anti-féministes. Vous êtes peut-être dans le vrai, en suivant la lettre le règlement, objections-nous hier à l'un de ces derniers, membre fort en vue d'une des compagnies les plus sélects. Mais, question de principe à part, pourquoi refuser aux femmes l'accès de l'Institut ? Pourquoi? répliqua-t-il, se laissant emporter par l'ardeur de la polémique et dans une langue peu usitée sous la Coupole. C'est qu'il nous en arriverait des flottes. Cette boutade échappée à l'un de nos plus sévères Immortels montre bien l'état d'esprit qui règne actuellement dans l'ancien palais Mazarin
Toujours est-il que, hier, pour la première fois, la question a été agitée officiellement. Ainsi qu'elle en a coutume, la commission administrative de l'Institut qui se réunit le dernier mercredi de chaque mois, pour examiner les diverses questions d'ordre intérieur qui lui sont soumises et fixer l'ordre du jour de la prochaine séance trimestrielle, a tenu sa séance ordinaire. Sur seize membres, douze étaient présents, nombre que très rarement on avait atteint. C'étaient MM. Darboux, Van Tieghem, Thureau-Dangin, Hanotaux, Daumet, de Foville, Perrot, Croiset, Lamy, Cagnat, Bernier et Levasseur.
La discussion, très courte d'ordinaire, s'est prolongée jusqu'à près de cinq heures. C'est dire si l'on y a bataillé ferme. Il s'agissait de savoir si l'on mettrait à l'ordre du jour de la prochaine assemblée trimestrielle le problème irritant soulevé par la candidature de Mme Curie. D'aucuns prétendaient que la commission administrative, une fois saisie d'une question, ne fût-ce que par un seul membre de l'Institut, ne peut se refuser à la mettre en discussion. D'autres soutenaient la thèse contraire.
Que fut-il dit, pendant ces trois longues heures ? Au sortir de la réunion les douze Immortels qui y avaient assisté se montraient, en dépit de leur urbanité coutumière, aussi aimables que des portes de prison Tous s'éloignaient le teint animé, le geste violent. Nous avons parlé pendant trois heures, nous a dit l'un d'eux. Beaucoup de paroles pour rien!
Irréductibles de part et d'autre. Nous croyons savoir toutefois que tenants et adversaires de la candidature féminine restent sur leurs positions, et qu'aucune décision définitive ne fut prise. Ne pouvant s'entendre les membres de la commission de l'Institut ont décidé de renvoyer la question pour étude aux commissions administratives de chaque académie. Quand chaque section en aura délibéré, la commission de l'Institut se réunira à nouveau, le 28 décembre, et fixera définitivement l'ordre du jour de la séance trimestrielle qui se tiendra vraisemblablement le 4 janvier.
Celle-ci aura, croyons-nous, à se prononcer sur les questions suivantes: Y a-t-il lieu, oui ou non, d'admettre les femmes à l'Institut? Les académies sont-elles libres, à ce sujet, d'agir chez elles comme elles l'entendent?
Le Petit Parisien – 2 décembre 1910
EN BREF
Le grand-duc Cyrille fait baptiser son traîneau automobile - Une cérémonie originale a eu lieu hier à nie de la Grande-Jatte, dans un établissement de construction aéronautique. Le grand-duc Cyrille de Russie a fait procéder au baptême d'un traîneau automobile qu'il s'est fait construire dans le but de faire du tourisme hivernal. Les popes de l'église russe de la rue Daru en habits sacerdotaux, ont procédé à la bénédiction de l'engin et un lunch a été ensuite offert aux invités. Le grand-duc Cyrille va faire transporter son traîneau en Suisse, où auront lieu les premiers essais. Le Petit Parisien – 2 décembre 1910
Une chasse mouvementée ou la révolte du cerf - Fontainebleau, 1er décembre - Pendant que M. Lebaudy et ses invités suivaient une intéressante chasse à courre, le cerf que l'on traquait, une superbe bête, faisant soudain volte-face, bondit violemment sur la monture du piqueur Lafutaie et lui planta une de ses cornes dans le poitrail. Sans hésiter, le piqueur Courtaut, sautant à bas de son cheval, s'attaqua courageusement à l''animal qu'il prit par les cornes, l'empêchant ainsi de faire des victimes parmi les invités. Puis il le tua d'un coup de couteau et la curée termina bientôt sans autre incident cette chasse mouvementée. Le Petit Parisien – 2 décembre 1910
Exécution capitale d'une femme criminelle – Berlin, 1er décembre – la couturière Valesca Bunzel qui avait assassiné dans sa demeure un vieillard de quatre-vingt ans, l'ancien employé des chemins de fer Karl Weiss, a eu ce matin la tête tranchée par le bourreau. Son crime accompli, Valesca pilla l'appartement de sa victime et déroba une certaine somme d'argent avec laquelle elle voulait se constituer une dot. Elle avait été condamnée à mort le 20 juin dernier. C'est la seconde fois en deux ans qu'une femme est exécutée en Allemagne. Le Matin – 2 décembre 1910