Les actualité du 11 décembre 1910
Le centenaire du barreau de Paris
Hier, au Palais de Justice, ont commencé les fêtes organisées par le barreau
de Paris pour célébrer le centenaire de la restauration de l'Ordre. C'est de la
plus aimable manière qu'ont débuté ces cérémonies. Le vieil Ordre a d'abord
voulu fêter sa jeunesse. Le barreau s'est groupé avec ses invités autour des
stagiaires, et Maître Busson-Billault, qui a présidé à la rentrée de la
conférence avec son habituelle et exquise bonne grâce, a pu justement, dans un
avertissement paternel et ému, dire aux conscrits de la barre: Vous conserverez
toute votre vie, mes chers confrères, un impérissable souvenir d'un anniversaire
qu'aucun de nous ne reverra.
Jamais le Palais n'eut une animation plus joyeuse et plus juvénile. La galerie de la première présidence, par où devait passer le cortège officiel pour se rendre à la bibliothèque, était envahie dès midi, et, des deux côtés, le long des froides murailles, il y avait une haie de robes, qui n'étaient pas toutes, des robes d'avocats: un grand nombre de jolies femmes curieuses, mêlaient, en effet, la gaieté de leurs toilettes à l'austérité des toges.
Au vestiaire, on était un peu affairé; chez Mme Bailloud, au premier, on avait isolé, entre deux rideaux de reps rouge, un modeste vestiaire pour MM. les bâtonniers étrangers. C'était là que les attendaient et leur correspondance et leurs costumes. Les membres du conseil de l'Ordre sont là, impatients. Un détail inusité rehausse leur costume; ils sont gantés de blanc. Un peu d'inquiétude, vers une heure messieurs les Anglais se font attendre. Enfin, les voilà, et Me Henri-Robert, en bas, de sa voix toujours admirable, procède à l'appel nominal de nos hôtes; le cortège se constitue.Les gardes du Palais ouvrent l'escorte derrière eux, figures familières.
Les appariteurs de l'ordre ont revêtu un costume tout battant neuf; ils ont une allure martiale sous le tricorne de plumetis, paré d'une cocarde tricolore, avec, au côté, une épée à garde argentée. Derrière eux, tout souriant, le bâtonnier, Maître Busson-Billault, marche entre M. le commandeur Scipiooi-Luppachioli, président de l'Ordre des avocats de Rome, dont la toge noire est agrémentée d'aiguillettes d'or, comme un uniforme militaire, et rehaussée d'une magnifique cravate multicolore, comme un costume d'ambassadeur, et M. Plumkett, bâtonnier de Dublin. M. PlumKett et ses confrères anglais qui le suivent ont tout le succès du cortège qui se déroule lentement: ils portent la perruque cendrée et frisée de jadis, perruques diversifiées d'ailleurs suivant les goûts individuels. L'un d'eux laisse, retomber, de longues nattes blanches, qui, encadrant un long visage rose, font songer a quelque portrait de Pierre Corneille, célèbre avocat au Parlement de Normandie.
D'autres ont de courtes coiffures, comme les parlementaires du dix-huitième siècle; sous la perruque, on discerne la chevelure et l'apparat en est moins strict. Et les cinq représentants des barreaux britanniques, M. Underdown, sir W. D. Kawline, sir Inypere, M. Vosey Knox, sir Reginald Dyke, drapés dans leurs manteaux de soie sous lesquels brille l'or de chaînes magnifiques, semblent des ancêtres des siècles passés, ressuscités et mêlés à la foule des modernes dont leurs yeux tranquilles contemplent indulgemment les plaisirs un peu bruyants.
Auprès d'eux, M. Bisaillon, bâtonnier de Montréal, moins seigneurial, représente le tiers-état. Dans les tableaux de David, nous avons déjà vu son chapeau, un petit tricorne de prêtre breton entouré d'une cordelière rouge à glands, comme un chapeau de cardinal. Par contre, M. Botson, bâtonnier de l'ordre des avocats de Bruxelles, M. Emile Wilhelmy, bâtonnier du Luxembourg, M. le président de la Fédération des avocats belges sont revêtus de toges françaises, tandis que MM. Antonescu, de Bucarest, le docteur Kerner, de Prague, Abdul-Kahman Adil-bey, de Constantinople, portent l'habit ou la redingote ultra moderne. Adil-bey est coiffé du fez. Et derrière ces personnages solennels, notre toge familière et belle pourtant nous paraît banale, même quand elle est portée par ces hommes de singulier mérite que sont les bâtonniers de province, qui suivaient ces étrangers, les bâtonniers des 26 Cours d'appel de France.
Le cortège a franchi les marches de la Cour d'appel et a pénétré chez M. le premier président. M. Forichon et son procureur général, M. Fabre, attendent dans le somptueux cabinet de la première Chambre, les représentants de l'étranger que leur présente Me Busson-Billault. MM. le premier président et le procureur général ont leur robe rouge et leurs hermines, plus magnifiques encore que les costumes anglais. Après avoir souhaité à leurs hôtes une bienvenue rapide, les deux magistrats se joignent au défilé, en tète duquel ils marchent avec le bâtonnier. Cette fois, ils sont suivis de MM. les membres du conseil de l'Ordre, que Me Bétolaud, le doyen, domine de sa taille svelte. Il est d'une incroyable jeunesse, bien, qu'il n'ait pas vingt ans de moins que l'Ordre, et tous ses éminents confrères semblent, comme lui, rajeunis.
La salle des conférences de la bibliothèque n'a reçu aucun décor. Les livres la tapissent de leurs couleurs sérieuses. Une foule, une véritable foule noire et houleuse la remplit depuis plus d'une heure. Quand Honoré, l'appariteur, annonce le cortège, qui fut tout le long de sa marche salué discrètement et respectueusement, c'est l'unanime cri de satisfaction des foules lasses d'attendre. Les avocats montent sur les chaises et les galeries des bibliothèques, et se dressent sur la pointe des pieds pour voir le spectacle et les acteurs.
Quand le silence s'est rétabli; M. le bâtonnier proclame l'ouverture de la séance. Puis il procède à la distribution des prix. Les lauréats sont gantés de blanc, comme les membres du conseil de l'Ordre. Maître Paul Reynaud reçoit des mains du bâtonnier Je prix Albert Laval; M. Jean Bardoux, le prix Ernest Cartier, des mains du bâtonnier Cartier lui-même. Enfin l'heure est venue où on va louer les morts. La coutume veut que, d'ordinaire, l'éloge se borne aux défunts de l'année, mais les circonstances solennelles vont forcer Maître Busson-Billault à étendre ses notices nécrologiques, d'un style fort distingué, à tous les avocats du temps passé.
Que de bâtonniers que de bâtonniers depuis Gerbier. Maître Busson-Billault arrive enfin aux morts de l'année. Nul ne sait comme lui jeter une gerbe de fleurs sur une tombe ouverte, ou bien en quelques mots faire revivre la silhouette d'un confrère encore présent à toutes les mémoires. Parmi d'autres visages, le pinceau de MI Busson-Billault s'est arrêté devant la grande figure qui devait se dresser cette année au-dessus de toutes les autres. Plus ému, l'orateur parle à voix basse: Je dois à cette heure vous offrir pour exemple la carrière de Henri Barboux. Vous y trouverez, comme il l'a dit lui-même, une bonne raison de travailler toujours et de ne désespérer jamais. Et après avoir retracé le caractère de l'illustre maître, Maître Busson-Billault termine son discours
Maître Busson-Billault s'est tu. La parole est aux jeunes. Ils se montrent dignes du passé. C'est avec grand talent que Maître Charpentier et de Chauveran, premier et second secrétaires de la conférence, évoquent à leur tour l'image des ancêtres. L'ancien garde des sceaux, Hébert, fut loué, non sans quelque dommage, grâce à l'ironie cruelle de son panégyriste et le procès de Mme Lafarge nous est raconté à la Balzac, dans une page superbe de chronique judiciaire philosophique. Quelques-uns des bâtonniers étrangers et provinciaux écoutent et applaudissent.
D'autres, sous la conduite de M. le premier président, sont allés visiter le Palais, qui retentit de coups de marteau, pare ses vieilles murailles de tapisseries et illumine ses voûtes sombres d'éclatantes lumières pour le banquet d'aujourd'hui. Mais la fête des stagiaires, qui fut simple, restera, sans aucun doute, celle qui aura paru à nos hôtes la plus originale.
Le Figaro – 11 décembre 1910
EN BREF
Emeute à Calcutta - Calcutta, 10 décembre - A dix heures du matin, une
grande foule de mahométans a traversé le quartier de Marwari. Les autorités ont
envoyé deux compagnies d'infanterie avec des canons et un escadron de cavalerie.
L'arrivée des troupes n'a pas arrêté les manifestants, qui ont essayé de rompre
le cordon. La police a chargé et la foule, après une courte résistance, s'est
dispersée. Il y a environ quatre-vingts blessés. L'ordre est rétabli, mais de
grandes quantités de mahométans continuent à se rassembler. Quelques magasins
ont été pillés. Les désordres sont dus à une querelle religieuse entre Hindous et mahométans.
Ces derniers avaient manifesté l'intention de sacrifier une vache, qui est
l'animal vénéré des Hindous. Le Petit Parisien – 11 décembre 1910
Une jeune fille nue se présente devant les gendarmes - Chateaulin, 10 décembre - Complètement nue, les mains attachées derrière le dos, une jeune bonne, Louise Ploé, originaire de Châteauneuf-du-Faou, se présentait à la gendarmerie, à la profonde stupéfaction des braves gendarmes, qui s'empressèrent tout d'abord de lui procurer des vêtements. Interrogée ensuite, Louise Ploé raconta une histoire extraordinaire. Elle déclara qu'elle avait été attaquée près du bois de Saint-Goazec par deux individus masqués qui la déshabillèrent et lui firent subir des violences. Puis ils l'attachèrent toute nue à un arbre de la forêt et pendant deux jours et une nuit elle resta dans cette situation. Quelque bizarre que paraisse cette histoire, la gendarmerie a ouvert une enquête, car Louise Ploé porte au sein droit une légère blessure qui semblerait donner à son récit un semblant de vérité. Le Petit Parisien – 11 décembre 1910
Un aérolithe dans une barque - Corbeil, 10 décembre - Deux commerçants, MM. Courtelemont et Drezet, péchaient en Seine, hier après-midi, non loin de Corbeil. Tout à coup une formidable explosion retentit, en même temps, un énorme bloc de pierre provenant des carrières que font sauter à l'aide de la dynamite les ouvriers occupées aux travaux de la ligne du tramway de Corbeil-Milly, s'abattait dans la barque, au milieu d'eux. Fort heureusement, les pécheurs ne furent pas atteints et purent sauter à temps sur la rive car, un instant plus tard, la barque éventrée coulait à fond. Le Petit Parisien – 11 décembre 1910