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17 mars 2009

Les actualités du 17 mars 1909

090317ptt1Postiers: la grève est proclamée

La grève générale des postiers est proclamée. Tel est le résultat du meeting tenu hier au Tivoli-Vauxhall, où les fonctionnaires des postes et télégraphes ont fraternisé avec des révolutionnaires professionnels. On notera même ce curieux détail : c'est que l'ordre du jour insurrectionnel adopté assigne comme "cause principale" à ce mouvement "les calomnies lancées par le sous-secrétaire d'État contre l'Association générale des P. T. T. et les injures imméritées adressées au personnel".

Les calomnies, quelles sont-elles? M. Simyan, à la suite des troubles de vendredi, a répondu — ou à peu près — a ceux qui l'interrogeaient sur leur origine : "Ce sont là des actes purement révolutionnaires, inspirés par l'esprit anarchiste qui s'est infiltré parmi les postiers." C'est pour cela que les postiers font grève ! C'est pour montrer leur indignation d'être traités de révolutionnaires qu'ils recourent à l'acte révolutionnaire par excellence: la grève générale ! II faudrait rire d'une telle logique, si l'événement, n'avait en soi une gravité qui prête peu a la plaisanterie.

Donc, la grève est votée. Mais il ne suffit pas en pareil cas de voter, il faut agir. Et sur ce point, il est encore impossible de savoir si les belles résolutions du meeting seront accompagnées d'actes collectifs caractéristiques. ; A l'heure qu'il est, il semble qu'il y ait plutôt des hésitations. Nous souhaitons vivement que les fortes têtes ne soient pas suivies et que la voix de la raison finisse par être entendue.

Nous le souhaitons pour le public qui pâtirait nécessairement de la désorganisation des services télégraphiques et postaux. Mais nous le souhaitons plus encore, s'il est possible, pour les agents eux-mêmes qui iraient au-devant de cruelles déceptions, car ils ne peuvent pas ne pas être les premières victimes de leur folie. Où sont, même parmi les soutiens de leurs revendications, ceux qui, dans la presse ou au Parlement, approuvent leur révolte ? Tous — à l'exception des socialistes unifiés qui ne rêvent que plaies et bosses—déplorent l'égarement auquel ils ont succombé. Tous sont d'accord pour proclamer, comme nous-mêmes, la nécessité qui s'impose au gouvernement de ne point capituler devant ces sommations anarchiques. Il n'en est pas un qui ne sente que céder en cette occurrence, ce serait exposer les services publics - tous les services publics — à de périodiques perturbations, prélude du désagrégement final.

On peut dire que le gouvernement, dans l'œuvre de répression à laquelle il ne peut se soustraire, aura derrière lui l'unanimité des citoyens capables de réflexion. Et, Dieu merci ! ils sont encore en France l'immense majorité. (...) Le public souffrira patiemment la gêné momentanée résultant soit de l'interruption, soit du flottement des services. Il attendra avec une clairvoyante résignation que la répression ait. tout fait rentrer dans l'ordre, si les conseils de sagesse continuent à rester impuissants. Il fera le plus large crédit au gouvernement, parce qu'il sait bien qu'en se montrant inflexible, ce. n'est pas cette fois "l'intérêt ministériel" que le gouvernement défendra, mais l'intérêt national.

Comment, en effet, l'intérêt national pourrait-il s'accommoder de l'anarchie administrative? Et donner aux fonctionnaires de tout ordre cette impression dissolvante que l'Etat est à la merci de leurs revendications, de leurs exigences légitimes ou non, ne serait-ce pas ouvrir toute grande la porte à cette anarchie? Dans le duel engagé entre les postiers et les pouvoirs publics, ce sont les principes mêmes de tout gouvernement qui sont en jeu. N'est-ce pas dire que c'est le gouvernement qui doit avoir — et qui aura — la victoire? Il lui suffit de vouloir.

Le Temps – 17 mars 1909

090317ptt2C'est la grève: Poussés à bout, les postiers l'ont déclarée au meeting de Tivoli

J'écris ces lignes après minuit sous l'impression toute chaude que mes camarades de l'Humanité rapportent du meeting postier du Tivoli-Vaux-Hall, auquel leurs obligations professionnelles leur faisaient un devoir d'assister. Tous sont unanimes à constater l'esprit de sacrifice et d'indomptable résolution qui animait les six mille employés présents à cette réunion. Ils se rendaient compte de la gravité de la décision qu'ils allaient prendre, et ils n'ont pas cédé à un entraînement passager de réunion tumultueuse en décidant la cessation du travail.

Mais, après, les actes de répression odieux de ces jours derniers, après le déni de justice des juges du tribunal de la Seine; attendant pour condamner leurs collègues que les ministres eussent trouvé un motif d'inculpation qui n'existait pas encore quand les prévenus, comparaissaient devant eux ; après les scènes de brutalité dont le hall du service central avait été le théâtre ; tout cela s'ajoutant aux mensonges provocateurs proférés à la tribune lors de la discussion du budget, après tous ces attentats perpétrés contre leur qualité de fonctionnaires, contre leurs droits de citoyen, contre leur dignité d'hommes, ils ont estimé qu'ils n'avaient pas d'autre recours que le cessation du travail.

Que là responsabilité du trouble passager que la décision des employés des Postes jettera dans un grand service public retombe tout entière sur ceux qui ont, amené, qui ont rendu inévitable cette grève : D'abord, sur le sous-secrétaire d'État qui par ses accès de phobie intermittente contre tous à tous les degrés de la hiérarchie et dans tous les services, a exaspéré un personnel d'élite, prêt à tous les dévouements ; Ensuite, le gouvernement tout entier, que sa politique de défiance, de haine, de défis incessants à ses fonctionnaires, a poussé aux pires mesures de rigueurs, aux violences, matérielles et morales telles qu'on n'en vit jamais sous aucun gouvernement de réaction le plus éhonté. Enfin, les responsables les plus coupables ne sont peut-être pas M. Simyan ni le cabinet, mais la majorité qui a tout puni, tout sanctionné, qui a encouragé de ses votes constants de son approbation servile, la politique, néfaste de ces trois années.

Oui ! Les députés de la majorité sont Au premier chef les plus coupables. Ils ont assisté, impassibles, à l'amoncellement des. injustices commises, à la perpétration de tous les attentats. Et ils n'ont même pas l'excuse de n'avoir pas su, d'avoir ignoré les flots, d'amertume qui s'amassaient dans l'âme, confiante des fidèles et loyaux serviteurs de l'État et du public que sont les employés des Postes et. des Télégraphes. Ils savaient quelle crise se nouait, quelles, conséquences allaient avoir l'entêtement puéril autant que misérable du directeur de l'administration des Postes.

Hier encore, dans les couloirs, tout le monde déplorait les condamnations abominables prononcées dans l'après-midi. Pas un député radical qui ne fût convaincu qu'on pouvait prévenir la résolution de ce soir, en tendant une main. conciliante et amie à ces employés que le chef de la police injurie jusqu'à leur table de travail. Ils étaient unanimes à regretter les provocations et les excès d'une autorité arbitraire, à reconnaître que les coups de force d'une dictature incohérente auxquels nous assistons depuis quelque temps devaient aboutir à la cessation du travail. Pas un n'a osé, n'a tenté de proclamer la vérité.

Acculés à la résistance héroïque, les employés des postes ont dû prendre une décision qu'il était facile de prévenir, avec seulement le retour à un peu de justice. Quelles que soient les suites que comporte la résolution votée au Tivoli-Vaux-Hall tout à l'heure, nous adjurons le prolétariat et l'opinion publique de ne pas faillir au devoir de solidarité et de justice. Le droit est avec les victimes. La cessation du travail est imputable à ceux-là seulement qui l'ont provoquée. Les sympathies de l'opinion et du prolétariat iront aux "grévistes malgré eux" que sont les les employés des Postes.

Gustave Rouanet – L'Humanité – 16 mars 1909

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