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CPA Scans
21 juillet 2009

Les actualités du 21 juillet 1909

Georges_Clemenceau

La chute du ministère

M. Clemenceau est tombé sur un mot malheureux, au moment où il paraissait, inébranlable. Sa chute a surpris tout le monde, y compris M. Delcassé. Nul ne la prévoyait et, même parmi les blocards qui la désiraient le plus, nul ne l'attendait avant les vacances.

Jusqu'à 7 h. du soir, la Chambre avait ecouté dans le plus grand calme le discours, de M. Delcassé. C'est à cette heure précise que la surprise éclata, et la surprise ce fut le discours du président du Conseil. Le chef du gouvernement crut pouvoir reprocher à l'ancien ministre des Affaires étrangères "d'avoir humilié la France". La Chambre s'émut de cette digression malheureuse ; une protestation violente monta de presque tous les bancs. On vota, le gouvernement était renversé.

Remarquez que si M. Clemenceau n'avait pas prononcé ce mot inexcusable, s'il s'était borné à se défendre en répondant aux reproches et en discutant les faits, l'issue du débat était une victoire certaine. Pendant le pointage, les ministres, qui ne doutaient plus de leur défaite, s'étaient réunis dans le cabinet qui leur est réservé et délibéraient. M. Clemenceau déclarait que sa résolution était prise, et qu'il ne tenterait pas un effort pour essayer de rallier sur le fond de l'ordre du jour la majorité qui l'avait lâché sur la priorité.

On essaya vainement de lui faire abandonner ce dessein, lui conseillant la lutte, lui prédisant que la majorité se ressaisirait. M. Clemenceau resta inflexible, et c'est ainsi résolu qu'il rentra en séance au moment où la sonnerie annonçait que le pointage était terminé. Il a glissé, suivant l'expression consacrée, sur une pelure d'orange. Et dans quelles extraordinaires conditions de scrutin ? On peut dire que ce dernier vote est le triomphe de la politique clemenciste, car il marque mieux que tout autre l'émiette-ment des partis.

Et d'abord — chose peut-être unique dans les annales parlementaires —175 députés étaient absents par congé. Un seul groupe, celui des socialistes unifiés, a fait bloc comme toujours contre le gouvernement, Examinons l'attitude des différents partis, en allant de gauche à droite :8 socialistes parlementaires ont voté pour le gouvernement, 18 contre ; 2 étaient absents par congé. Les radicaux et radicaux-socialistes se sont ainsi divisés : 124 pour le gouvernement, 62 contre ; 80 étaient absents par congé ; 19 se sont abstenus. Les républicains de gauche ont présenté le même spectacle de division : 17 ont maintenu leur confiance au gouvernement, 4 ont voté contre ; 3 se sont abstenus ; 25 étaient absents par congé. Passons maintenant aux progressistes : 16 ont voté pour le gouvernement, 28 contre ; 23 étaient absents par congé un s'est abstenu. La droite conservatrice ou libérale a fait meilleure figure. Aucun de ses membres, cette fois, n'a voté pour le gouvernement ; 52 ont voté contre ; 3 se sont abstenus : 34 étaient absents par congé. (...)

Le président du Conseil et les ministres se sont rendus, en quittant le Palais-Bourbon, à l'Elysée, où ils ont remis leur démission au président de la République. M. Fallières a accepté cette démission et a prié les membres du Cabinet de continuer l'expédition des affaires courantes. Le Cabinet est à peine renversé que déjà, dans les milieux politiques, se pose cette question : Qui va le remplacer ?

Il est inutile de faire remarquer que toutes les suppositions que l'on peut faire à l'heure actuelle reposent, sur le néant. Si la logique parlementaire devait trouver son application dans la circonstance, M. Delcassé devrait être appelé à la présidence du Conseil. Mais la logique et la politique sont deux choses absolument différentes, mieux vaut ne pas insister sur les considérations de politique extérieure qui, sans doute, l'écarteront pour quelque temps encore du pouvoir.

Raymond_Poincare

On prononce les noms de MM. Briand, Barthou, Poincaré et d'autres encore. M. Poincaré est persona grata à l'Elysée ; mais il est l'adversaire du projet d'impôt sur le revenu voté par la Chambre. C'est cette considération qui l'empêchera d'accepter les offres qui lui seront probablement faites. M. Briand estime que son heure n'est pas encore venue. Son rêve est d'être le pacificateur des conflits sociaux; il préfère attendre. Quant à M. Barthou, on sait qu'il ne s'encombre pas de vains scrupules. Si M. Fallieres fait appel à son dévouement, il se dévouera.

La crise ministérielle pose deux questions intéressantes : Quelle sera l'attitude du nouveau gouvernement dans la question de la réforme électorale ? Tentera-t-il un rapprochement avec les socialistes, une sorte de reconstitution du "bloc" ? M. Jaurès, dans L'Humanité, convie les radicaux à une réconciliation en termes non équivoques : Si les républicains le veulent, écrit-il, les grands conflits d'idée ne seront plus envenimés par le poison des polémiques gouvernementales et exaspérés par le ressentiment du prolétariat.

De son côté, M. Henri Bérenger réclame un ministère politique de détente personnelle et de paix générale, un ministère ferme sur les principes de la majorité, mais conciliant avec toutes les fractions de la démocratie. M. Bourély se réjouit, dans le Rappel, de la chute de l'homme qui "fut le brandon de discorde, de division et de haine du parti républicain" Le départ de M. Clemenceau va permettre — le député de l'Ardèche l'espère du moins — "de renouer toutes les traditions glorieuses" du parti républicain — ce qui veut dire en bon français, de reconstituer le "bloc". Comme aucun enseignement ne se dégage du scrutin d'hier, c'est le choix que fera M. Fallières qui pourra seul nous fixer sur la nouvelle orientation politique.

La Croix – 22 juillet 1909

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Le nouveau ministère


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