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CPA Scans
6 août 2009

Les actualités du 6 août 1909

prison santé

Une exécution capitale à Paris

Ce matin, à l'aube, une exécution capitale a eu heu à Paris : celle du garçon charcutier Georges Duchemin, qui tua sa mère pour la dévaliser. Cette nouvelle a causé une surprise générale, d'abord parce qu'on croyait toujours l'administration à la recherche d'un emplacement pour l'échafaud, et ensuite parce que le crime et la condamnation de Duchemin avaient passé presque inaperçus, l'attention publique étant absorbée à cette époque par d'autres événements. Pourtant, la Chambre ayant maintenu la peine de mort et M. Deibler ayant operé plusieurs fois en province, on pouvait s'attendre à voir la guillotine se dresser nouveau dans Paris, d'autant que le crime de Duchemin ne paraissait pas être de ceux pour lesquels on doit escompter quelque clémence.

La dernière exécution parisienne remonte au 1e février 1899. A l'aube de ce jour déjà lointain, sous la neige qui ouatait les arbres et les toits des maisons, le bourreau décapita sur la place de la Roquette le jeune Alfred Peugnez, qui avait assassine à Saint-Maurice une femme et une petite fille et qui avait pu être capturé par les agents et les gendarmes grâce au courageux concours d'un restaurateur de Charenton, M, François Salabert. Depuis lors, la Roquette ayant disparu, il avait fallu chercher une autre "place publique" pour une application éventuelle de la loi; on avait particulièrement examiné le quartier de la Santé ; mais chaque fois que le nom d'une rue avait été prononcé, les habitants de cette rue avaient protesté avec une telle indignation qu'on avait dû ajourner toute décision. Le bruit courait toutefois avec persistance que, le cas échéant, c'est sous le porche d'entrée de la prison qu'on planterait les bois de justice.

Or, ce matin, c'est bien loin de ce porche que nous avons vu s'arrêter le fourgon de M. Deibler c'est à environ 350 mètres de là. Le grand quadrilatère de la Santé forme angle droit, du côté est, avec la rue de la Santé, où se trouve le portail d'entrée, et avec le boulevard Arago. Cette dernière voie est plantée des deux côtés, d'une double rangée de marronniers.Et l'on a choisi, pour l'exécution, le carré minuscule ombragé par quatre de ces arbres au pied du mur extérieur de la prison, à deux cents pas du coin de la rue de la Santé et du boulevard. Là, point de maisons d'où l'on puisse découvrir l'appareil de justice : d'un côté, c'est la haute muraille nue ; de l'autre, c'est le jardin d'un couvent des sœurs de Saint-Joseph de Cluny, actuellement inhabité. Mais par contre, cet éloignement du lieu de supplice a nécessité, comme on le verra plus loin, certaines innovations dans le détail de ce qu'on pourrait appeler la "parade d'exécution".

Et donc, hier, un bruit sinistre se répandait dans Paris : à la sortie des théâtres et concerts d'été, un journal du soir précisait même et annonçait qu'a l'aube la tête du bandit Duchemin tomberait sous le couperet. Qui, Duchemin? demandait-on. Son crime et sa condamnation étaient pourtant de fraîche date. Georges Duchemin était le fils d'un tailleur de pierres mort au Sénégal en 1885. Sa mère l'avait élevé, ainsi que ses deux sœurs, à force de travail, de soins et de privations. L'une de ses deux sœurs, minée par la tuberculose, mourut le 21 novembre dernier dans un sanatorium de Seine-et-Oise. L'autre est actuellement en service dans un petit hôtel meublé de l'avenue de Versailles, non loin du viaduc d'Auteuil, Quant à Georges, âgé de 28 ans, sans profiter de l'apprentissage qu'on lui avait fait faire chez un charcutier, il vivait dans le commerce des souteneurs et des filles. Toujours sans ressources, il écrivait lettres sur lettres à sa mère pour lui demander de l'argent.

(..) Et comme elle refusait, sous prétexte qu'elle gardait ses économies pour envoyer dans les Pyrénées sa fille phtisique, le misérable la poignarda et prit la fuite emportant une somme d'environ 300 francs. On l'arrêta dès le lendemain dans un bar de Grenelle, comme il dépensait cet argent en une folle orgie. Devant la cour d'assises, Maître Faye, son avocat, plaida la jalousie qu'aurait ressentie son client pour sa sœur, que sa mère lui préferait. Mais le jury se montra inflexible. Georges Duchemin fut condamné à mort, et ces jours derniers, le président de la République recevant Maître Faye, ne parut pas disposé à se montrer plus indulgent que le jury.

(...) Duchemin s'était vite accommodé du régime de la Santé. Hier soir, après avoir dîné de bon appétit et fait une partie de cartes avec ses gardiens, il s'était tranquillement endormi vers huit heures. À une heure du matin, quand nous arrivons dans le quartier de la Santé, M. Mouquin, secondé par MM. Bouvier et Lefils, a déjà organise un service d'ordre important: 1,500 hommes, garde républicains ou agents, sont répartis autour de la prison. Des barrages successifs - on en compte jusqu'à quatre tendus de cent en cent mètres dans la même voie - ne laissent filtrer que les journalistes et les magistrats en service commandé. Et les curieux se trouvent ainsi retenus au loin, a six ou sept cents mètres de la maison d'arrêt.

D'ailleurs, la foule n'est pas très nombreuse, l'éxécution ayant été tenue secrète jusqu'à une heure tardive, et elle reste silencieuse. C'est à peine si, aux dernières minutes, quand l'énervement aura raison des plus patients, on entendra au loin une vague rumeur. Notons enfin que le filtrage aux bar-rages étant des plus serrés, on ne voit pas sur le champ d'exécution des groupes de fêtards en habit comme ceux qui allaient autrefois finir sur la place de la Roquette, non sans indécence, une nuit d'orgie.

La nuit est tiède. Sous un ciel constellé, une douce brise fait frémir le feuillage des marronniers. Les chefs des détachements de police et les reportérs font les cent pas sur le boulevard Arago, s'entretenant à voix basse. Sur l'emplacement de la guillotine on dispose des doubles barrières, en sorte que le champ du supplice sera limité, au fond par le mur de la prison, à droite et à gauche par des obstacles improvisés, et en avant par la bordure du trottoir. A trois heures, les deux fourgons de la rue de la Folie-Regnault débouchent de la rue de la Santé. L'un, qui sert de vestiaire aux exécuteurs, se range à l'écart; l'autre stoppe devant le carré des quatre marronniers, La porte derrière est rabattue à 45° sur le sol, et déjà sur ce plan incliné glissent, une à une, les pièces de la machine. C'est un vrai "traquenard", observe naïvement un agent qu'intrigue ce déballage.

A la lueur vacillante des lanternes, les trois aides, en bourgeron et pantalon bleus, commencent le montage de la machine. Deux ajustent les pièces ; le troisième, fumant sa cigarette, remplit l'offfice de manœuvre ; et Deibler, lui, en complet noir et chapeau melon, surveille et vérifie, pose et repose son niveau d'eau, fait ajouter une cale, manœuvre une glissière, serre un boulon....A quatre heures, les préparatifs son terminés : les bras jumeaux de la machine s'élèvent dans le jour qui pointe et pour un observateur arrêté au milieu du boulevard, semblent se perdre dans les feuilles touffues. A ce moment deux automobiles, amenant les magistrats, stoppent devant le grand portail de la prison. MM. Deshayes avocat général, Monier, procureur de la République, de Casabianca, substitut, Hubert-Dupuis. juge d'instruction, Hamard, chef de la Sûreté, Deibler et ses aides, Baissac, commissaire de police du Petit-Montrouge, pénètrent sous la voûte.

Duchemin occupait la cellule n° 1 de la 11e division, dite des condamnés à mort. Son sommeil, d'abord paisible, avait été vers minuit troublé par des cauchemars. On l'avait entendu murmurer à plusieurs reprises: "Ma mère, ma sœur!". Quand s'ouvre la porte de sa cellule, il se réveille brusquement et se dresse sur sa couchette de fer en se tournant du côté de la porte. L'avocat général lui annonce le rejet de son recours en grâce et l'exhorte à avoir du courage et à se préparer à bien mourir. M. Monier lui demande s'il a des révélations à faire : " Le juge d'instruction, ajoute-t-il, est là pour les recevoir." Duchemin répond affirmativement, mais se borne à dire que sa peine est trop forte.

On habille le condamné. Il boit un cordial, fume des cigarettes et s'entretient avec l'abbé Jespitz, l'aumônier, auquel il manifeste le désir d'entendre la messe. Il finit ensuite de s'habiller, avec l'aide des gardiens et de L'abbé Jespitz, qui va revêtir les ornements sacerdotaux dans une pièce voisine. La messe est célébrée sur une table disposée en forme d'autel, dans le couloir. Le condamné, pendant l'office, garde un air assez indifférent et continue de tenir à la main sa cigarette allumée, sans toutefois la porter souvent ses lèvres. La messe dite, on l'entraîne au bureau du greffe, et c'est d'un pas assuré qu'il traverse les corridors. On le fait asseoir sur un tabouret. Les aides lui enlèvent sa chemise de manière à lui mettre le torse complètement à nu, et on lui passe des entraves aux mains et aux pieds.

Duchemin reçoit alors la visite d'un de ses parents; "Tu diras à ma soeur que je lui demande pardon, murmure-t'il. Embrasse-la pour moi." Il demande ensuite que son corps ne soit pas remis à la faculté de médecine. Le procureur lui promet d'accéder à cette requête. Un peu après, sous le vestibule d'entrée, on le fait rasseoir sur un escabeau. Deibler lui coupe les cheveux sur la nuque ; on jette sur ses épaules nues un long peignoir blanc et on lui recouvra la tète avec un petit voile de tulle noir.

C'est qu'en effet la loi veut que le parricide soit mené à l'échafaud pieds nus, la tète dissimulée sous un voile noir, et que sur le lieu même du supplice, il entende la lecture de la sentence de mort. Enfin tout est prêt. Les mains liées derrière le dos, les jambes entravées à la hauteur des chevilles, Duchemin est hissé dans le fourgon qui a amené les bois de justice et que son conducteur vient d'arrêter devant la grande porte.

Deibler et un de ses aides ont pris place sur le siège. Les deux autres aides, l'abbé Jespitz et le médecin de la prison montent dans l'intérieur à coté du condamné. Pourquoi me couvre-t-on la tête d'un voile ? a demandé Duchemin. Je n'ai pas besoin de ça. Mais déjà l'équipage est parti au trot, tourne le coin de la prison et remonte le boulevard Arago. Tandis que l'aumônier récite à voix basse des prières, le condamné paraît nerveux, mais non abattu ; Où me conduisez-vous donc? demande-t-il aux aides. Mais ceux-ci feignent de ne pas entendre. D'ailleurs, le fourgon stoppe devant le peloton de gendarmes à cheval qui sabre en main, s'alignent à deux mètres du bord du trottoir, face à la guillotine et au mur de la prison. Le silence est angoissant. Tout le monde s'est découvert. La scène se déroule en pleine lumière, car déjà les premières lueurs du soleil mettent au ciel une teinte rose du côté des Gobelins,

M. Deibler, le premier, a sauté à terre et est allé prendre sa place près du montant gauche de la machine. L'aide qui se trouvait à côté de lui sur le siège ouvre et rabat la porte arrière du véhicule. Les deux autres descendent ensuite ; puis c'est le tour de l'aumônier, qui reste au pied du plan incliné pour aider le condamné à mettre pied à terre. A ce moment, Maître Lacour, huissier du parquet général, conformément à la loi sur les parricides, lit d'une voix blanche la sentence de mort. Quelques mots à peine parviennent distinctement jusqu'aux oreilles des magistrats et des journalistes, rangés au nombre de deux cents derrière les barrières de bois. L'aumônier, au bord du trottoir, récite la prière des agonisants.

A partir de ce moment la scène, qui depuis l'arrêt de la voiture avait paru interminable, se précipite. Le premier et le second aide ont saisi le condamné sous les coudes ; le troisième, d'un geste rapide, enlève le voile de tulle qui couvrait la tête et le peignoir blanc jeté sur les épaules. Et l'assassin apparaît, petit mais assez rablé, le torse et les pieds nus, uniquement vêtu d'un pantalon à carreaux blancs et noirs. Il faut monter sur la bordure du trottoir et franchir environ trois mètres pour arriver à l'échafaud, dont la silhouette se détache sur le fond gris sombre du mur de la prison.

Poussé, ou plutôt porté, le condamné, dont la figure pâle sous sa chevelure d'un blond roux assez épaisse, est contractée par un rictus affreux, regarde en face le couteau, puis fixe ses yeux sur les assistants massés près du mur, contre la barrière de droite. Il a quelque chose de la bête traquée cherchant une issue pour fuir. Mais cette vision dure à peine une seconde. Déjà la planche a basculé avec un roulement sinistre et le couperet s'abat.

De l'avis des magistrats et des vieux journalistes présents, c'est l'exécution la plus rapide à laquelle on ait jamais assisté. Ça été littéralement foudroyant, et il ne s'est pas écoule trois secondes entre le moment où Duchemin a mis le pied sur le trottoir et le moment où un aide a rabattu lo couvercle du panier d'osier sur les restes du supplicié. À 4 h 52, le fourgon portant le corps de Duchemin part au grand trot dans la direction du cimetière, escorté par un maréchal des logis et quatre gendarmes à cheval. Au moment de l'inhumation, on constate que le cadavre retiré du panier est encore agité par des soubresauts.

Un peu après, apprenant qu'un fourgon est venu de la faculté de médecine pour prendre livraison des restes de Duchemin, M. Hamard fait savoir qu'à la demande de la famille du condamné cette livraison n'aura pas lieu. A six heures, une dizaine d'apaches, réunis sur le lieu du supplice, boulevard Arago, fouillaient le sable pour trouver des traces de sang.

Le Temps – 6 août 1909


EN BREF

La terre à tremblé en Bretagne - Brest, 5 août — A trois heures onze, heure de l'observatoire de Brest, une violente secousse de tremblement de terre, qui avait la direction sud nord, a été ressentie; elle a duré trois secondes, affectant toute la région. Dans les maisons, la vaisselle accrochée aux murs a été jetée par terre. On perçut en outre un grondement pareil à celui que ferait un lourd camion roulant sur le sol. A Brest l'émoi a été considérable. Juste à ce moment un incendie venait d'être signalé du côté du port de commerce où se trouvent l'usine à gaz et l'usine de produits chimiques. Les pompiers de la marine, les pompiers de la ville et les troupes coloniales étaient partis, et le bruit avait couru que les usines avaient sauté. Il n'en était rien, l'incendie était simplement un feu de lande. On ne signale aucun accident. Le Matin – 6 août 1909

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