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CPA Scans
9 février 2010

Les actualités du 9 février 1910

chantecler2Rostand dévoile son Chantecler au théâtre Saint-Martin!

Enfin, nous avons eu Chantecler, et je ne dirai pas que nous avons failli attendre. On eut même encore un frisson, quand Jean Coquelin, revêtu de l'habit noir des annonces, monté sur une petite estrade, vint débiter un prologue exquis, délicieux, d'un bout à l'autre, mais qui commençait par ces mots fatidiques : "Pas encore !" On en fut quitte pour une alerte, et le prologue créa l'ambiance, en nous transportant par la pensée, dans la basse-cour, champ clos de l'action. Celle-ci nous fut annoncée par une symphonie, où la musique de scène se remplaça par tous les bruits agrestes, gloussements des volatiles, bourdonnements des abeilles, aboiements de chiens et chansons de paysans au travail, que scandait le marteau frappant l'enclume.

On ne pouvait mieux faire pour nous préparer, et le rideau se leva sur un décor enchanteur, une cour de ferme, de sur-ferme, aurait dit Nietszche, le philosophe à la mode, puisque les volatiles ayant taille humaine, tous les objets accessoires ont dû être grandis pour se trouver à l'échelle. Il fut charmant, ce lever de rideau, nous dévoilant le coin favori des volatiles qui gloussent, pépient, sifflent et chantent picorant dans la paille et potinant entre eux, avec une malice qui ressemble singulièrement à celle des conversations humaines.

Et de quoi cause-t-on, entre volailles ? De toutes choses et de bien d'autres choses, comme il convient, chacun donnant son coup de bec, alors que la vieille Poule Blanche soulevait, de loin en loin, le couvercle de son ermitage d'osier, pour lancer quelque lambeau de la Sagesse des nations. Mais, le fond de la conversation, ce fut Chantecler, le héros du poulailler, le Pacha des Poules, qui tremblent au simple gloussement du maître orgueilleux, qui fait lever le soleil, alors qu'il lui plaît de pousser son glorieux cocorico !

Donc, voici Chanlecler, majestueux, héroïque, qui descend, et, pour début, dit son hymneau soleil, très beau morceau de bravoure. On en parle depuis longtemps, il était très attendu, et son effet n'en fut pas moins grand. On est emporté par le grand souffle, et on a crié bis ! Tandis que le Merle se raille de tout, que le chien Patou philosophise, que les Poulettes gloussent tendrement autour de Chantecler, on entend un coup de fusil, et voilà que dégringole la Poule Faisane blessée. On s'empresse autour d'elle, on la soigne, et le vieux sultan blasé hérisse son plumage et secoue sa crête à l'aspect de ce gibier nouveau, qui excite son appétit, et aux charmes duquel il se laisse prendre.

La Poule Faisane lui vante les joies de la liberté, le charme des forêts où l'on respire l'air pur, qui ne ressemble en rien aux miasmes corrompus de la basse-cour. Et l'on sent que, Chantecler se laissera séduire par la Faisane et qu'il voudra, lui aussi, tâter de la liberté. En attendant, comme le jour baisse, la Faisane prend hospitalité dans la niche du bon Patou; les Poules rentrent au poulailler, et vient la nuit sombre, qui s'éclaire vaguement de la phosphorescence des yeux des oiseaux de nuit.

Il est charmant d'un bout à l'autre, ce premier acte, amusant et nombreux, étincelant d'esprit, d'un esprit subtil et varié, qui s'élève très haut parfois, pour redescendre jusqu'à la gaminerie. Le calembour, l'à-peu-près, le coq-à-l'ane — c'est le cas ou jamais — y foisonnent, et le Merle, le loustic de la bande, s'en offre la pâture. Le second acte se passe dans la forêt, où la Faisane a entraîné Chantecler. Et pendant que tous deux dorment sous les fougères, il y a conspiration des oiseaux de nuit. La loge est au complet. Duc, Grand-Duc, Chat-huant, Emouchet, Hibou, Scops conjurent. Il faut à tout prix se débarrasser de ce gêneur de Coq, dont le chant présage la lumière, cette lumière dans laquelle on ne saurait vivre.

Et lorsque les premières lueurs commencent à poindre et que les nocturnes se sont enfuis, Chantecler se raidissant, de sa griffe creusant le sol pour s'y fixer mieux encore, se cambre, et devant la Faisane affolée d'amour pousse son cri de triomphe, ce cri qui appelle la lumière, qui jamais n'y reste sourde. Il appelle le soleil avec impatience, il le presse, le persuade, et le soleil paraît, donnant le renouveau à la nature entière, alors que de tous les coins de l'horizon les autres coqs répondent : C'est moi qui fais lever le soleil, dit Chantecler du haut de son orgueil...Et quand le ciel est gris, c'est que j'ai mal chanté...

Ce second acte, où les Chats-huants conspirent peut-être trop longuement, est vraiment superbe, de belles envolées saisissantes le traversent à chaque instant et chemin faisant font jaillir les étincelles.Le troisième acte est moins passionné ; il est plus en ironie. Certes, il contient, lui aussi, de beaux morceaux, mais il semble que, tout au moins dans la première partie, le poète ait compté plus sur le metteur en scène que sur lui-même et qu'il ait donné, trop de latitude au costumier. C'est la parade de tous les coqs, les coqs du monde entier, et vraiment M. Rostand doit être un aviculteur averti pour connaître aussi bien tous les gallinacés. Il en est de toutes les sortes et certains sont vraiment bizarres et presque inconnus.

chanteclerChantecler est bien pale au milieu de ces coqs prétentieux, lui, le simple coq de basse-cour, et c'est là sa beauté personnelle. Ce qui ne l'empêche pas de mettre à jour quelques bonnes vérités. Il faut le dire, ici l'auteur, par le bec de son coq fait leçon si vigoureuse à d'autres oiseaux à deux pieds, comme lui, que d'aucuns ont voulu y voir la clef, vous savez cette clef que bien souvent on s'obstine à ajuster à la serrure où elle n'entre pas. Il y a même un certain couplet à l'adresse du Merle, l'oiseau imbécile qui se rit de tout, parce qu'il est de bon goût de railler tout et d'être mufle, ce gui indique qu'on a reçu une bonne éducation.

Nous touchons au dénouement... Chanlecler, un peu fatigué de sa soirée chez la Pintade, où certain coq de combat lui administra une volée magistrale, erre dans la forêt, plutôt fourbu, en compagnie de sa Poule Faisane, qui, tourmentée de curiosité féminine, veut absolument lui arracher son secret et lui demander comment il s'y prend pour faire lever le soleil ? Mais voici les désillusions qui commencent. La nuit, dans la forêt, c'est la chanson du Rossignol, celle-là mélodieuse et tendre : " Oh ! comme il chante mieux que moi !" se dit Chantecler qui écoute charmé. Pauvre petit Rossignol, qu'un braconnier imbécile abat d'un coup de fusil, et qui vient tomber à ses pieds, parce que le plomb l'a rendu muet, pour toujours !

Puis, c'est la danse des Crapauds, qui viennent autour de lui, bayer en coassant. Tout à coup, le jour vient, le soleil paraît à l'horizon, et Chantecler, au milieu des distractions de la forêt, a oublié de chanter... Mais alors le soleil peut donc venir sans que lui l'ait appelé ! C'est la catastrophe de l'orgueil, c'est l'héroïsme qui s'effondre. Il faut dire adieu aux illusions et rentrer dans la froide réalité. Adieu les bois et la liberté, il faut retourner à la basse-cour ! Adieu la Poule Faisane et l'Amour de passion ; au poulailler, c'est le devoir ! Il ne fera plus lever le soleil, il signalera simplement son arrivée à l'horizon, comme un simple muezzin, qui crie les heures. Sa mission sera plus modeste; utile quand même, et il aura le courage de la résignation que lui ont donné l'expérience et la douleur.

Maintenant,qu'aussi fidèlement que possible, nous avons raconté la pièce qu'est-elle ? Et comment pouvons-nous la catégoriser : Féerie ? Pas le moins du monde. Comédie ? L'intrigue est bien mince. Fantaisie symbolique, d'un poète, en recherche de pittoresque, et qui, ainsi qu'Aristophane, l'a trouvé, dans une combinaison originale ? Je crois que c'est ainsi qu'il faut l'accepter. L'idée était de curiosité séduisante, mais elle n'était réalisable que par un poète de la valeur de l'auteur de Cyrano. Il est inutile, je crois, d'ajouter que la forme est merveilleuse. Comme disait Coppée, dans Le Passant, Rostand jongle avec des rimes d'or. Sa virtuosité est sans égale. La pensée y éclate au milieu de l'étincellement du rythme, Quand_son ingéniosité, elle se révèle par de continuelles trouvailles, des fortunes d'expression. Il y a des morceaux de premier ordre, tel l' Hymne au Soleil, déjà popularisé par les indiscrétions, plus de la moitié du deuxième acte, et le quatrième, presque dans son entier.

Sur la vague mélancolie du drame, le poète a semé du rire. Son dialogue est plein de mots qui déconcertent certains, de plaisanteries, de néologismes, et il y a des pudeurs qui se récrient, selon que le comique des mots déchaîne le rire. En prenant la forme fantaisiste qu'il a adoptée et qui voisine singulièrement avec la féerie, il me parait que l'auteur se donnait liberté, et se lâchait la bride. Je crois, d'ailleurs, qu'il a été hanté par un souvenir shakespearien. Le grand Will, dans ses fantaisies, — témoin Le Songe d'une nuit d'été ne se gênait pas pour faire la chasse aux concetti, se laissant aller aux plaisanteries, parfois bien au-delà des bornes, ceux qui le lisent dans le texte pourront vous renseigner.

Le Gaulois – 9 février 1910


EN BREF

Quand cessera-t-il d'être onze heures ? — soyons précis : onze heures moins six — aux horloges de la ville ? Avec une touchante unanimité dont il n'est point besoin d'être ingénieur pour pénétrer le secret, mais dont il n'est pas interdit, nonobstant, de dégager le symbole, toutes les horloges pneumatiques de la ville de Paris se sont arrêtées, le jour et à l'heure où nos angoisses étaient le plus vives devant le despotique et sournois investissement des eaux. Et l'immobilité des aiguilles, aux cadrans officiels, évoque celle qu'une main pieuse impose aux pendules des chambres mortuaires pour perpétuer la minute navrante où disparut un être cher. L'affreux cauchemar s'est évanoui. Paris a quitté le deuil. Par les rues repeuplées, où la vie de nouveau mène son train bruyant, seules les aiguilles immuables, au front des cadrans hautains, s'obstinent à évoquer, funèbrement, les heures mauvaises. Eplorés ou vindicatifs, combien de regards protestataires et d'yeux en courroux se sont levés déjà vers les implacables, les décevantes aiguilles !... De combien de retards ou de déconvenues fut cause leur irritante immuabilité ! Des trains furent manqués, manqués aussi de graves, de folâtres rendez-vous. Des affaires ne se conclurent pas qui eussent été magnifiques, de vieux camarades et même de jeunes amis se brouillèrent. Il nous parut urgent d'aller consulter, sur ce critique cas de léthargie horaire, les services compétents. Hélas ! cette catalepsie devra, selon toutes probabilités, se prolonger quelques jours encore. Les puissantes machines à air comprimé, dispensatrices de l'heure à travers la cité, sont toujours noyées. On travaille sans relâche, dans les ateliers du quai de la Gare, à refouler l'eau qui inonde les sous-sols. Le Matin – 9 février 1910

Une femme condamnée a mort - C'est un accident qui n'arrive pas tous les jours. Généralement, à la justice mêlant la galanterie, les jurés s'arrangent par une réponse négative à la question dangereuse, pour sauver la tête d'une femme inculpée de crime. Le jury de la Seine hier a ôté ses gants. La femme Rosella Bosch, pour avoir tué férocement, lâchement, stupidement, boulevard Voltaire, le 18 juillet dernier, la servante Germaine Bichon, a été condamnée à mort. M. l'avocat général Trouard-Riolle, dans son réquisitoire, avait réclamé cette peine. Et Me André Hesse, malgré son vaillant et beau talent, malgré une, chaleureuse plaidoirie, ne put obtenir le verdict atténué qu'il osait espérer. Il est des causes qu'on ne gagne pas. A mort ? Depuis dix-neuf ans, la cour d'assises de la Seine n'avait pas prononcé contre une femme la peine capitale. La dernière fut la femme Berland, qui avec l'aide précieuse de son fils Gustave et d'un vieil ami du nom de Doré, avait assassiné une dame Dessaigne, rentière à Courbevoie. Elle ne fut pas exécutée, Rosella Bosch ne le sera vraisemblablement pas non plus, les jurés ayant manifesté l'intention de signer un recours en grâce. Martin Henri, son ami, inculpé de complicité, a été acquitté. Maître Paul Viven était son défenseur. Le Matin – 9 février 1910

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